
que le colonel Stoddart possédait une énergie, une
bravoure, une résolution sans pareilles, mais qu’il
était violent et irascible à l’excès *, et c’est à ce malheureux
travers de son caractère qu’ils attribuent sa
mort et celle de son compagnon, autant qu’au refus
que fit la Reine d’Angleterre d’écrire à l’Émir Nasser-
Ullah. Quant au capitaine Conolly, ils en parlent
comme d’un homme judicieux, conciliant, doux, prudent
et parfaitement organisé pour traiter avec des
1 Le prince Khanikof, qui avait été envoyé par l’Empereur de
Russie afin de faire en sorte de secourir Stoddart, avant l’arrivée
de Conolly, m’a assuré n ’avoir jamais rencontré un homme qui
fût si peu capable de vivre avec des Asiatiques que le colonel
Stoddart. C’était un gentleman très-bien élevé , très-courageux
et fort chevaleresque, mais très-impérieux et fort susceptible.
Il avait demeuré avec le prince Khanikof, dans la même maison,
pendant plusieurs mois, et avait très-bien pu q u itte r Bokhara ;
mais il n ’avait rien voulu devoir à l’Empereur de Russie, car il
pensait que c’était son gouvernement qui devait prendre le soin
de le délivrer. Lorsque Conolly arriva, Stoddart laissa Khanikof
pour vivre avec lui, et à dater de cette époque, Khanikof m’assura
q u ’il avait pensé que leur sort était décidé. Khanikof sortit du
pays, nos désastres de Kaboul eurent lieu, e t l’Emir ne se gêna
plus pour agir suivant ses penchants.
Stoddart avait traité cet Émir trè s-c av a liè remen t, d ’un air de
mépris. Khanikof m’affirma qu’il avait été certain jo u r mandé
chez l’Émir avec Stoddart, e t que celui-ci lui avait dit que l’armée
anglaise avait été taillée en pièces à Kaboul. Stoddart lui
répofldit d’un ton hargneux : « C’est un mensonge ; rien de pareil
ne peut a rriv e r aux Anglais ! » L’Émir, sans daigner lui répondre,
ordonna qu’on le fît sortiç, et, quand la nouvelle eût été confirmée,
il put à loisir se venger de l’insulte qu’il avait reçue.
M. Khanikof connaît à fond les langues orientales ; ses manières
sont douces e t polies, sa sagacité e t son jugement sont sans
pareils. Il e st très-estimé de ses compatriotes, e t occupe la position
importante de consul général à Tébriz. — D. S.
Asiatiques: ils le regardent comme une victime de la
fatalité, et n’attribuent sa mort qu’aux emportements
de son collègue. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre
étaient dignes d’un meilleur sort.
Toutes les personnes que je vis à Meched me répétèrent
ce que m’avaient dit, depuis Bagdad, celles qui
connaissaient mon projet de pénétrer en Afghanistan.
Elles m’assurèrent que ce voyage était dangereux,
insensé et devait m’être fatal. A l’appui de leurs
assertions, elles me répétaient ce qui était arrivé à
MM. Conolly, Stoddard et Wolf, et il fallait toute la
résolution dont je m’étais armé pour ne pas renoncer
à mon dessein. Des milliers de personnes me conseillèrent
de retourner sur mes pas; celles qui me portaient
quelque intérêt réitéraient leurs efforts pour
m’y décider, tandis que ceux qui me voyaient pousser
plus avant avec indifférence se contentaient de me
dire : « Tu auras le col coupé, car l’occupation de
« l’Afghanistan par les Anglais et les désastres qui
« l’ont suivie ont laissé une telle irritation dans l’esprit
« des populations de cette contrée, que la présence
« d’un seul Frengui est capable de les soulever en
« masse. Les Persans eux-mêmes, leurs voisins, qui
« tiennent à eux par plus d’un lien, mais qu’ils croient
« à tort dévoués aux intérêts britanniques, ne peuvent
« plus pénétrer dans leur pays sans s’exposer à perdre
« la vie. » Ces raisons, il est vrai, étaient bien faites
pour me retenir; mais en réfléchissant à toutes les
fatigues, à tous les dangers, aux privations que j’avais
éprouvés depuis mon départ de France, en me rappelant
le fanatisme des pèlerins auquel j’avais été en