
Je Tayais connu à Bagdad, et il accompagnait jusqu'à
la frontière sa tante, Fakhret-Dooulet. Ce prince était
exilé de la Perse depuis que son père Ferman-Fer-
man, ancien gouverneur de la province du Fars, avait
aspiré à la royauté. Il me regarda beaucoup, et de
très-près, sans pouvoir deviner mon identité sous mon
accoutrement modeste; mais son air indiquait assez
qu'il soupçonnait du mystère dans ma personne. Il me
suivit avec ténacité, je finis pourtant par me perdre
dans lafoule etje retrouvai mon nouvel ami, le Mollah
Ali, dont la jovialité me fit bientôt oublier cette ren-
conlre et toutes mes craintes. Ce singulier sectateur
de l'Islam était un musulman des plus extraordinaires
: superstitieux et vrai croyant jusqu'à l’intolérance,
avec ses compatriotes, qu'il ne cessait de prêcher
et dont il réprimandait ouvertement les écarts
Arabes, qui reconnurent Timour, ne songèrent qu’à le rançonner,
mais l’un des bandits ayant abordé le prince d ’une manière qui
lui déplut, celui-ci le frappa violemment. Irrité s p ar cette a tt a que
imprévue, les Arabes s’élancèrent sur lui, e t après un combat
désespéré, le laissèrent sur la place, la poitrine traversée d ’un
coup de lance. 11 avait eu un poumon perforé, mais il guérit heureusement
de cette blessure. Les Arabes sont très-superstitieux
à l’endroit d ’un assassinat, ou même d’une blessure faite par eux
à un chef de fam ille , e t lorsque deux tribus ont à vider une
querelle, les chefs re sten t ordinairement à l’abri de leu r ten te,
spectateurs du combat. Ils furent persuadés quelque temps
après, en voyant mourir leurs chameaux e t leurs brebis, que
l ’attaque dirigée par eux contre Timour leur avait porté malheur.
Ce fut bien pis encore, lorsque la maladie se déclara parmi
les membres de leur famille. Aussi, longtemps après celte
affaire, ils étaient dans l’usage d’envoyer de temps à autre des
députations auprès de Timour pour le prier de les délivrer du
charme fatal qui pesait sur eu x .—R.
religieux, il devenait d'une tolérance et d’une indulgence
excessives pour lui-même lorsqu’il se trouvait
seul avec moi. «Voyez ces fils d'enfer (Peder soukhtè),
« me disait-il, ils invoquent à chaque instant, le nom
« de Dieu, celui d’Ali et de saints Imans, et cependant
« ils ne cessent de désobéir à leurs lois. Ce sont des
« hypocrites qui simulent la pauvreté, mais qui ont des
« ducats d'or cousus dans la doublure de leurs habits.
« Us ne me donnent pas une obole, pour la peine que
« je prends de les maintenir dans la bonne voie et de
« faire germer la bonne semence dans leur coeur.
« Quant aux promesses, ils en ont des magasins, mais
« ils ne les vident jamais. Le matin, en arrivant à la
« halte, je suis souvent obligé de cuire mon pilau moi-
« même, et ces maudits , sans respect pour le carac-
« tère dont je suis revêtu, laissent mes mains s’a-
« baisser aux travaux abjects de la cuisine, tandis
« qu’ils devraient m'aider et me nourrir. Ah ! vous
« autres Younân ( c’est ainsi que les Persans appellent
« les Grecs sujets du sultan) vous êtes beaucoup plus
« humains; tous les hommes sont vos frères, tandis
« que ces chiens-là vous considèrent comme des im-
« purs. Mais je suis loin, quoique musulman, de par-
« tager cette sotte opinion, et, pour vous le prouver,
« je m’établirai ce soir avec vous, à part, dans un coin
« retiré, où nous vivrons en communauté. Acceptez-
« vous? » Je vis bien de suite l'intention du Mollah.
Il voulait se pendre à mes crochets, mais son excellent
caractère et ses paroles métaphoriques qui trouvaient
toujours le moyen de me désopiler la rate,
parlèrent en sa faveur, et il devint mon hôte dès le