
devais aller coucher, mais je regrettai beaucoup la détermination
à laquelle je m’étais arrêté en arrivant
dans cette localité; je la trouvai déserte et tout y portait
l’empreinte d’une récente dévastation. Il ne restait
plus une seule tente, et la plupart des huttes
avaient été renversées. Nous n’y trouvâmes que
quelques chiens hargneux et un vieillard malade et
épuisé, prêt à rendre l’âme. Nous n’avions pas d’abord
aperçu ce malheureux ; il se révéla à nous par quelques
gémissements sortis d’une maisonnette que
j ’avais d’abord prise pour une cage à poulets. A
notre approche, cet homme se souleva pourtant avec
peine sur le flanc, mais nous ne pûmes pas tirer
un seul mot de lui; seulement il nous indiqua du
doigt la montagne voisine, vers laquelle nous nous
dirigeâmes en désespoir de cause. Un nomade que
nous rencontrâmes nous apprit que les Hézarèhs de
Singlak avaient été obligés d’abandonner leurs demeures
dans la crainte d’être pillés par un gros campement
de Firouz-Kouhis, situé à 2 farsangs sur la
droite, dont deux hommes avaient été tués par eux
dans une rixe. Les Hézarèhs avaient refusé de livrer
les meurtriers ou de payer le prix du sang; mais sachant
qu’ils étaient les plus faibles et se trouvant peu
en sûreté sur le plateau découvert où ils campaient
habituellement, ils s étaient retires dans les excavations
de la montagne, et y avaient mis à l’abri leurs
familles et leurs troupeaux. Quoique nous eussions
exactement suivi la direction que cet Iliatenous avait
indiquée, nous étions déjà arrivés assez haut dans
la montagne sans découvrir les Hézarèhs; et après
les avoir vainement cherchés, nous tirâmes un coup
de fusil dont la détonation fut répercutée mille fois par
l’écho. Aussitôt une troupe d’hommes armés sembla
sortir de chacun des rochers placés au-dessus de
nos têtes, sur notre gauche. Ces gens, croyant à une
attaque de notre part, ne tardèrent pas à riposter, et,
avant que nos signes eussent été compris, nous essuyâmes
une fusillade bien nourrie, dont heureusement
les rochers nous abritèrent, car sans cela nous
fussions restés sur le carreau. Us comprirent enfin
quand ils nous virent en si petit nombre, ainsi qu’à
notre marche inoffensive et à nos cris, que nous n’avions
aucune intention hostile, et alors ils nous laissèrent
approcher. Mon guide leur expliqua que je
désirais attendre chez eux la réponse à une lettre
que j’avais écrite à leur chef à Dooulet-Yar. Ils ne
firent plus de difficulté pour nous accueillir. On tua un
agneau en notre honneur et nous reposâmes bientôt
comme des gens harassés par la course fatigante que
nous venions de faire. Toutefois la vigilance des Hézarèhs
ne s’était point ralentie; ils se tenaient sur leurs
gardes et veillaient à tour de rôle. Bien leur en prit, car
vers trois heures du matin l’un d’eux donna l’alerte et
tout le monde fut bientôt sur pied. L’ennemi avait
voulu surprendre le lièvre au gîte en essayant dè s’emparer
des hauteurs qui dominaient sa retraite ; mais
sa présence avait été éventée et l’on s’apprêtait à le
bien recevoir. Nos hôtes observèrent d’abord le silence;
cachés derrière des rochers; nous prîmes rang auprès
d’eux et attendîmes, le coeur palpitant, le signal de
l’attaque. Une légère ligne blanche, qui se dessinait