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rins, mes compagnons de voyage, qu’ils s’étaient exposés
à subir de fâcheuses représailles en me molestant,
ou bien, comme on dit en persan, « â voir brûler
leurs pères (Peder el mi souzounem). »
Assaf-Dooulet, gouverneur général du khorassan,
était de passage à Nichapour quand j’y arrivai : je
m empressai de lui envoyer les brevets que je tenais
de Méhémed-Châh, afin qu’il pût savoir qui j’étais, et
je lui fis demander en même temps la permission
d’aller le visiter. Sa réponse fut favorable, et je vis
bientôt arriver au caravansérail où j ’étais descendu un
de ses pichkhetmet, suivi de huit farraches, qui devaient
me servir d’escorte d’honneur jusqu’à son logis.
Je rp’y rendis en grand uniforme et trouvai Assafservtr
d’excuses à leur co n d u ite , si la fraude et le mensonge
étaient jamais excusables. Un des subterfuges qu’ils emploient
pour mieux se défaire de leurs marchandises est celui de
ga rd e r la turquoise dans un linge mouillé pendant quelques
heures. Comme ces ventes se font le plus souvent secrètement
et à 1 improviste, pour éviter la surveillance des officiers persans
car ceux-ci ne manqueraient pas d’en faire le rap p o rt au gouverneur
de la province qui prélève un droit sur chaque, vente l’acquéreur
achète presque toujours la p ie rre précieuse avant que
la couleur relevée p ar l’action de l’humidité , ait eu le temps
de rep ren d re , en séchant, sa teinte naturelle.
« Je ne terminerai pas cet ex tra it sans ajouter qu’on r e tir e ,
p a ri opérai,ondu lavage, des turquoises de grosseur monstrueuse,
r eth-Ali-Châh, prédécesseur du monarque actuel, en avait une
en sa possession , dont on avait fait une coupe à boire. Chacun
sait que le trésor de Venise renfermait une turquoise qui pesait
L S I ? !îVritk elleS ° nt une cerlaine dimensioij, les
habitants du Khorassan s en servent pour o rn e r les harnais de
leurs chevaux : toutefois, c’est là un ornement de mince valeur
parce que d ordinaire elles sont pâles ou même décolorées. »
Dooulet en conférence avec quelques-uns des notables
du district. Il les congédia pour me recevoir. Il était
établi dans un bala/chanè (on nomme habituellement
ainsi le seul étage qu’on construit au-dessus du rez-
de-chaussée dans les maisons persanes), ayant vue
sur un vaste jardin garni d’une multitude de rosiers,
dont les fleurs remplissaient l’atmosphère de
leurs parfums. Assaf, simplement vêtu d’une robe
de laine et coiffé d’un bonnet de peau de mouton,
était assis dans un coin du salon, près de la croisée et
son attitude était celle d’un homme sachant le rang
qu’il occupe, mais exempt de cet air vaniteux qu’aiment
tant à prendre les grands seigneurs persans vis-
à-vis des subalternes. Son corps paraissait déjà affaissé
sous le poids des années, mais son intelligence avait
conservé toute la force et la vivacité de la jeunesse.
Il m’accueillit de la manière la plus gracieuse; après
m’avoir fait servir le thé et le kalioun, il s’informa de
l’état de ma santé, puis me demanda des nouvelles de
la capitale. Connaissant son antipathie pour le premier
ministre, je mis toute réserve de côté et lui rapportai
de mon mieux les faits qui pouvaient l’intéresser;
je l’informai aussi des intrigues qui avaient amené
l’éloignement des officiers français de la cour du
Châh, et de la résolution que j ’avais prise d’aller
chercher une nouvelle position dans une des principautés
de l’Asie centrale. Assaf m’encouragea à persévérer
dans mon projet, m’assurant qu’on avait exagéré
à mes yeux les dangers que présentait le voyage,
Tout dépendait, me dit-il, des chefs du Hérat et du
Kandahar, dont, selon lui, je n’aurais rien à craindre
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