
traverser le territoire, en me donnant pour raison
qu’elles me seraient plus nuisibles qu’utiles. 11 m’engagea
ensuite à cacher soigneusement ma qualité
d’Européen, après avoir quitté Feïz-Méhémed-Khan,
et à voyager le plus lestement et le plus secrètement
possible, sans visiter personne jusqu’à Kaboul.
A mon premier retour à Hérat, j’avais mis au net
mes notessur le Turkestan, jusqu’à Ser-Peul, malheureusement
ce travail m’a été volé par le Serdar Mé-
hémed-Sédik-Khan, de Girishk, par lequel j’ai été
dépouillé ». et il ne m’est resté, pour les rédiger une-
deuxième fois très-incomplétement, que mon itinéraire
au crayon et aux trois quarts effacé.
Pervanèh. — 22 juin. — 3 farsangs à travers des
montagnes tour à tour argileuses et caillouteuses;
gîte de quarante maisons habitées par des Eïmaks.
Conformément aux. ordres du Vezir-Saheb, .Feïz-
Méhémed-Khan m’avait fourni les chevaux nécessaires
au transport de mes bagages et de ma personne.
Nous quittâmes Hérat après le déjeuner , et mon
séjour dans cette ville m’avait tellement profité qu’il
eût été difficile de me reconnaître pour un Européen
soit à mon langage, soit sous l’habit afghan, dont je
continuai à me revêtir avec toutes les modifications
qui pouvaient me donner plus complètement l’air
d’un aborigène.
En traversant la place de la citadelle et les bazars,
nous fûmes témoins de deux exécutions dont je conserverai
toujours le souvenir. On avait amené en cet
endroit un chef de cent tentes, de la tribu des Téhimou-
nis, qui, ayant été conduit trois fois prisonnier à Hérat,
s’était toujours enfui/malgré le serment qu’il avait
fait de ne pas s’éloigner de la ville. Ayant été
repris, le Yézir avait ordonné de l’attacher à la bouche
d’un canon, puis de le faire mourir en mettant le feu
à la pièce. Jamais je n’avais vu spectacle plus émouvant
:les membres brisés et disjoints de ce malheureux
furent lancés dans toutes les directions, tandis
que ses entrailles, qui n’avaient pas été jetées aussi
loin, furent en un clin d’oeil dévorées par les chiens.
Une scène non moins affreuse se passait dans les
bazars, où elle avait commencé depuis deux jours,
et voici ce dont il s’agissait : un lieutenant d’artillerie,
très-aimé de Yar-Méhémed-Khan, avait été assassiné
la nuit, pendant qu’il dormait sur la terrasse de sa
maison, située dans un village fermé de murailles
et distant d’un quart de lieue de la ville. Le coupable
n’avait pu être découvert; mais les circonstances locales
indiquaient suffisamment qu’il devait se trouver
au milieu même de la population. Le Vézir fit arrêter
vingt personnes de ce village, parmi celles qui
avaient eu des querelles avec le défunt ou qui étaient
ses plus proches voisins. Sa femme étant soupçonnée
d’avoir des amants avait aussi été saisie et mise à la
torture, sans qu’on pût en tirer l’aveu de sa participation
au crime. Le Yézir commença alors par
prélever une amende de 1,000 tomans sur les vingt
autres accusés, puis il les fit bâtonner in extremis,
et à tour de rôle, dans le rond-point des bazars.
Quand l’un d’eux avait reçu un millier de
coups sous la plante des pieds, l’exécuteur l’en
voyait rouler à dix pas d’un coup de bâton et le