
y avait été attiré dans une espèce de guet-apens : on
ne voulait pas mécontenter trop les Anglais, déjà furieux
de ce que les Persans se portaient sur Hérat ;
et, bien que le prince fût convaincu du bon droit de
M. S-*” , il lui dit qu’il ne pouvait faire autrement que
de le punir, parce que la déposition de M. Wolf é tait
contraire à la sienne et le dénonçait comme étant le
provocateur. Le colonel S*** subissait donc quelques
jours d’arrêts pour ce fait, et sommeillait une après-
midi dans sa tente, étendu sur son lit, lorsqu’il se
sentit comme étouffé sous une masse assez lourde qui
venait de tomber sur lui. Il fut d’abord effrayé, mais
il se rassura bientôt, en voyant que c’était le docteur
Wolf qui s’était précipité sur lui pour l’embrasser et
lui demander pardon de son faux rapport; il s’excusait
sur les nécessités politiques, qui ne lui avaient pas
permis de dire la vérité, et il ne se retira que lorsque
M. S” ’ lui eut assuré qu’il ne se souvenait plus de son
évangélique déposition.
Il me reste maintenant à dire qu’il eût été possible
au gouvernement anglais d’assurer plus qu’il ne
l’a fait la sécurité du voyage du docteur Wolf. Le cabinet
de Londres était informé depuis longtemps que
l’Émir de Bokhara croyait indigne de lui de traiter
avec le gouvernement de Calcutta, donnant pour
raison que c’était une compagnie de marchands, dont
les actes de souveraineté n’étaient admis que par
quelques princes d’Asie. Il disait que les nations européennes
ne consentaient pas à traiter avec elle d’égale
à égale, et que comme il n’était pas moins orgueilleux
que ces puissances, il voulait que la Reine d’Angleterre
lui écrivît, comme le faisait l’Empereur Nicolas,
l’un des plus grands potentats de la chrétienté.
Malheureusement les ministres britanniques, mûs par
cette réserve qu’ils poussent parfois jusqu’à l’exagération,
s’opposèrent toujours à ce que leur souveraine
s’abaissât à correspondre avec un barbare. Ce refus
avait déterminé la mort des infortunés Stoddart et Co-
nolly : du moins l’Émir prit-il ce prétexte pour ordonner
leur supplice. Il est vraiment déplorable que le
gouvernement anglais se soit montré si pointilleux,
quand il s’agissait de sauver la vie à deux de ses plus
brillants officiers : leurs souffrances et leur dévouement
à leur pays étaient dignes de la plus grande sympathie
de sa part. En laissant le docteur Wolf s’acheminer
vers Bokhara sans être muni d’une lettre de
la Reine pour l’Émir, c’était l’exposer à subir le même
sort que les infortunés à la recherche desquels il était
envoyé : il est certain que cette lettre n’eût pas rappelé
à la vie les malheureux officiers anglais, mais
elle eût au moins empêché la mort d’une troisième
victime, etcette mort serait effectivement arrivée sans
la missive de Méhémed-Châh qui, lui, ne craignit
pas de compromettre sa dignité pour sauver la vie à
un étranger, à un chrétien, à un homme, par conséquent,
infidèle à ses yeux et qui devait lui être indiffér
en t1. L’opinion de tous les Bokhares, Persans et
Afghans qui ont connu MM. Stoddart et Conolly est
1 II est juste aussi de rendre à M. le colonel Sheil, ministre
britannique,à T éh é ran , toute la justice qui lui est due. C’est sa
généreuse e t instante intervention qui intéressa Méhémed-Châh
en faveur de M. Wolf.