
leur tour pour nous demander l’aumône : ils y mirent
tant d’ardeur qu’il nous fut bientôt impossible d’avan-
eer. Les uns se pendaient à nos jambes, les autres à
nos habits ou bien à la bride du cheval, et il fallut forcément
les satisfaire. Je crois fort que s’ils ne nous
avaient pas vu si bien armés, ils se seraient montrés
plus exigeants. J’ajouterai qu’il serait imprudent à une
personne seule de s’aventurer dans un endroit écarté
au milieu de ces harpies; elles l’auraient bientôt dépouillé
: les femmes que nous vîmes là étaient d’une
beauté médiocre, leur teint était très-hâlé, leur taille
élevée et bien prise : elles étaient surtout pourvues de
volumineux appas, qu’elles laissaient à découvert
comme leur visage. Les hommes étaient assis à une
petite distance du chemin, tressant des tamis, et s’inquiétant
fort peu de ce qui se passait entre nous et
leurs femmes, dont la morale, en fait de chasteté,
n’est pas très-sévère. Je trouvai ces Bohémiens ce que
j’avais vu ceux de leur race partout ailleurs en Asie,
possédant les mêmes instincts nomades, un grand
esprit de caste, vivant de peu, dans une excessive malpropreté,
et se montrant peu scrupuleux sur les
moyens à employer pour sc procurer le nécessaire.
Nous campâmes le soir près du caravansérail-châh
ruiné de Rabat-Abdullah-Khan : il n’y a ni habitation,
ni population à l’endroit de cette halle, qui est même
dépourvue d’eau ; nous fûmes obligés de nous contenter
de celle que nous avions apportée dans une
outre, et nos chevaux durent attendre jusqu’au lendemain
matin pour se rafraîchir.
Chibberghân. — 2 juillet. — 7 farsaugs de roule en
plaine : les trois quarts du chemin se tout à travers
des steppes, et le reste à travers des prairies et des
cultures. Chibberghàn est une ville de douze mille
âmeB, habitée par des Uzbcks et des Parsivans, mais
les premiers y sont en grande majorité. Cet endroit
n’est pas fortifié, toutefois il s’y trouve une citadelle
où réside le Khan gouverneur. La ville est entourée de
vastes cultures et dé très-beaux jardins; c’est sans
contredit une des plus belles du Turkcstan en deçà de
l’Oxus, tant pour la fertilité de son sol et la bonté de
son climat que pour la bravoure de sa population.
Mais tous ces avantages disparaissent en partie devant
un inconvénient, c’est que les ruisseaux qui alimentent
ses cultures descendent tous du Khanat de Ser-
Peul, avec lequel ses habitants ont souvent des différends
qui aboutissent toujours a leur faire couper
l’eau. 11 s’ensuit une guerre presque continuelle, dont
les résultats tournent au plus grand préjudice deChib-
berghân. Cette ville entretient d’une manière permanente
deux mille cavaliers et cinq cents fantassins,
mais elle pourrait au besoin armer plus de six mille
hommes. Roustem-Khan la gouvernait quand j ’y passai
en 1845, mais il en fut momentanément Chassé
l’année suivante, et voici pourquoi.
Roustem-Khan avait épousé la fille de Mizérab-Khan,
Wali de Meïmana. Fort de l’appui que lui prêtait son
beau-père, il crut pouvoir braver impunément l’Émir
de Bokliara, en enlevant à Kezem-Fer-Khan, Afchard,
son vassal, la ville d’Andekhouye qu’il gouvernait.
Après avoir été battu et dépouillé, ce dernier se rendit
à Bokhara et réclama l’assistance de l’Émir Nasser