
cevoir, il se remit un peu, et par égard pour moi, il
n’apostropha pas Ivan avec trop de sévérité. Cependant,
il ne put s’empêcher de lui dire avec quelque
aigreur : « merd-ké (oh! homme), pourquoi troubler
le calme dont b o u s jouissons par tes craintes puériles
et imaginaires, que Dieu te pardonne ! (lthouda nê
kouned!) ainsi soit-il; garde tes visions pour toi, cesse
tes sots propos, et ne porte plus l’agitation dans nos
esprits. » Mais la réprimande du Mollah n’empêcha
point Ivan d’insister, et il avait raison, car il nous fit
observer des têtes d’hommes dépassant la crête des
monticules situés à dix minutes en avant, sur notre
droite , et où l’on remarquait un grand mouvement.
Aussitôt, les mieux montés et les mieux armés des
nôtres se détachèrent en éclaireurs de ce côté, et,
quelques instants après, ils engageaient la fusillade
avec les Bilbers, qui nous attendaient au passage pour
essayer de nous dépouiller. Aux détonations venaient
se joindre les cris et les juremens des muletiers, qui
faisaient tout leur possible pour réunir et empêcher
d’avancer leurs bêtes de somme : les femmes et les
enfans pleuraient ou invoquaient Dieu, Ali et les
Imans. Les hommes, un peu moins effrayés, poussaient
cette cohue désolée sur le sommet d’une éminence
située à deux pas de la route. En un clin d’oeil,
les mules furent déchargées et les balles de marchandises
rangées sur le pourtour de cette forteresse improvisée
en guise d’épaulement; puis chacun se posta
et attendit l’attaque. Quand nos tirailleurs jugèrent
les dispositions défensives assez avancées, ils battirent
en retraite ave'c assez d’ordre, et vinrent nous rejoindre.
Les Bilbers, au nombre de trois cents environ,
les suivaient, mais à distance respectueuse, en tiraillant
hors dé portée : nous leur envoyâmes de notre côté
une grêle de balles qui n’atteignirent personne. Le
feu continua ainsi pendant trois quarts d’heure, jusqu’au
moment où la princesse arriva avec ses frères
| et sa nombreuse escorte. Les pillards se dispersèrent
i alors dans toutes les directions, et bientôt nous n’en
[ vîmes plus un seul. Une fois débarrassés d’eux, je me
rappelai le Mollah qui avait disparu depuis le com-
Imencement de faction. Après quelques instants de recherche,
je le découvris et le retirai de dessous une
litière de femme où il s’était blotti, entre deux ballots
! de cotonnades anglaises. Il était pâle à faire peur, sa
[langue et son gosier desséchés lui refusaient la parole,
et il fut assez longtemps à se remettre. Quand nous nous
remîmes en route, je le vis se faufiler tour à tour dans
[chaque groupe de pèlerins, et leur conter des hâbleries.
Cependant il avait la pudeur de se tenir toujours
hors de ma portée, ce qui ne m’empêcha pas de l’entendre,
à diverses reprises, faire un éloge pompeux de
[sa bravoure : « J’en ai tué quatre à bout portant, »
[disait-il, et tel était son aplomb que, bien que nul
[n’ignorât qu’il mentait, aucun n’osa le contredire;
[je crois même qu’il reçut des félicitations de ses auditeurs.
Kasr-Chirine est un tout petit village de vingt-huit
[maisons, au milieu des quelles s’élève un caravansé-
trail-châh en assez bon état, situé sur le revers d’une
[montagne au pied de laquelle coule le Diala. C’est un
foîte abominable, dont la population compte au nom