
étape et de garder ses bagages jusqu’au moment du
départ. Un autre inconvénient non moins grand, et
-qui m’a souvent désespéré en voyage, c’est l’indolence
des domestiques orientaux qui ne tiennent aucun
compte du temps. « El hemd lella, (à la grâce de Dieu)
disent-ils, ce qui ne se fait pas aujourd’hui se fera
demain. » Rien n’est plus désolant que ce système
pour un Européen, et surtout pour un militaire habitué
à la plus stricte exactitude. Si Ton envoie son
domestique au bazar faire une commission qui exige
un quart d’heure au plus, on peut être certain de ne
pas le revoir avant trois ou quatre heures. Il s’occupera
fort peu de gagner les gages qu’il reçoit, gages
toujours beaucoup plus élevés que ceux qu’on paie en
Europe. Peu lui importe que vous ayez besoin de lui ;
si vous lui reprochez de négliger vos affaires, il répondra
avec humeur qu’il faut bien aussi qu’il fasse
les siennes, et Ton devra s’estimer heureux si, sur
sept ou huit objets qu’on lui ordonne d’acheter, il en
rapporte deux ou trois : et encore a-t-il toujours réalisé
un bénéfice de cent cinquante à deux cent pour
cent. Un domestique quitte le maître qui le surveille
pour en chercher un autre plus facile, qui se serve
lui-même et se laisse voler sans rien dire. Être servi
par eux, c’est être voué au martyre. Tout ignorants,
paresseux et voleurs qu’ils sont, lés Persans passent
cependant pour les meilleurs domestiques de l’Asie.
Si cela est vrai, — car je ne les connais pas tous,—je
puis affirmer que le meilleur ne vaut pas grand’chose.
(Jette manière de servir est du goût des grands seigneurs
persans, qui, ne payant jamais leurs domestiques,
ne peuvent pas se montrer trop exigeants avec
eux ; ils aiment mieux se laisser voler que de leur
donner des gages : aussi tous les seigneurs qui mènent
un train un peu considérable sont-ils sûrs d’être pillés
parleurs domestiques. Les Européens qui payent exactement,
mois par mois, ceux qui les servent,seraient
fondés à vouloir obtenir de leurs serviteurs persans,
plus de zèle et de droiture, mais les Russes et les Anglais
qui, pour la plupart, en Perse, appartiennent à
la diplomatie, ont habitué ces gens là à des gains illicites
plus considérables encore que ceux qu’ils extorquent
à leurs compatriotes. J’ai calculé, et j’ai la certitude
de ne m’être pas trompé, que les trois cinquièmes
de la dépense d’un Européen en Perse, doivent
être comptés pour le bénéfice net des gens qu’il emploie
à son service.
La domesticité n’a rien d’humiliant en Perse, elle
est au contraire considérée comme la condition la plus
honorable. Le Châh est le serviteur de Dieu, et à son
tour il est servi par de grands seigneurs qui se font
aussi servir, et ainsi de suite jusqu’au dernier échelon
des classes sociales. 11 n’y a nulle espèce de distinction
dans le genre de service rendu, un cuisinier ne se
croit pas moins considéré qu’un fonctionnaire public.
Chacun jouit du degré de considération que fait rejaillir
sur lui la qualité et le rang du maître qu’il sert:
c’est là un état de choses universellement accepté.
Enfin la caravane ayant terminé ses préparatifs,
nous nous mettons en route.
Bibik-Abad. — 26 avril. — 7 farsangs, neuf heures
et demie de parcours, par un chemin plat et facile,