
chevaux d’avancer que très-lentement et avec des
peines incroyables. A ces difficultés naturelles, vint s’en
joindre une autre accidentelle, qui retarda considérablement
notre marche : la route, depuis la base jusqu’au
sommet de la montagne, était couverte de bêles
de somme et de troupeaux, appartenant à la tribu
des Sindjavis. Ils quittaient la plaine qui reste aride
pendant l’été et l’automne, pour aller s’établir dans
les hauts pâturages. Leur bagage se composait de plus
de quatre mille tentes, portées par des chameaux, des
chevaux, des boeufs, des mulets et des ânes qui nous
barraient le chemin à chaque pas. La princesse et ses
Persans ne s’arrêtèrent point devant cet obstacle : ils
renversaient tout devant eux pour se frayer un passage;
leurs cris et les plaintes des Sindjavis, les lamentations
des femmes et des enfants, le beuglement
des boeufs, le hennissement des chevaux, le braiement
des ânes, l’aboiement des chiens, le bêlement
des chèvres et des moutons, le chant des coqs, donnaient
la physionomie la plus étrange à cette scène. L’avalanche
des Persans heurtant cette masse compacte,
faisait rouler bon nombre de bêtes de somme dans
les précipices. Des jeunes agneaux, des chevraux et
dès veaux étaient attachés sur quelques-unes d’en-
tr’elles : c’était pitié de les voir mis en pièces après
avoir roulé quelque temps dans l’abîme. Je ne pouvais
comprendre la résignation de ces malheureux Iliates
(nomades), qui étaient assez forts pour nous écraser
et qui pourtant subissaient cette destruction de leurs
richesses sans songer à la résistance. Bien au contraire,
quand la princesse passait, ils faisaient des
voeux pour que les bienfaits du ciel l’accompagnassent,
elle et les siens. Je ne pus m’empêcher de manifester
l’impression que je ressentais au Mollah
Ali, à qui la frayeur avait coupé la parole depuis
l’attaque des Bilbers; mais l’air de la patrie et la variété
des scènes qui se présentaient à nos yeux, au milieu
de l’émigration sindjavienne le remirent bientôt
dans son état naturel.—« Comment, me répondit-il,
« pouvez-vous vous apitoyer sur le sort de ces brutes?
« On ne saurait les comparer qu’aux bêtes des forêts,
« qu’elles égalent en férocité : ces peuples ne sont
« musulmans que de nom, car ils ne font ni prières,
« ni ablutions, ne jeûnent point et refusent la dîme
« aux Mollahs. J’ai la conviction que les exterminer
« serait une action infiniment agréable à Dieu et au
« Prophète : j’accorde seulement qu’on pourrait épar-
« gner leurs femmes pour peupler nos harems, car
« elles y puiseraient de bons enseignements. Penser
« autrement à l’égard de ces mécréants serait provo-
« quer le courroux céleste. »
F,h ! bien tout ce que venait de me dire là mon ami
le Mollah, était, à n’en pas douter, la pensée des autres
Persans composant notre caravane. Les Sindjavis passent
pour être une secte qui n’est musulmane que de
nom ; cela suffisait pour les faire mettre hors la loi
par ces pèlerins fanatiques. On peut se figurer quelles
doivent être les relations des populations entre elles,
dans un pays où l’Islamisme se subdivise en une infinité
de sectes, toutes ennemies irréconciliables, et
l’on comprend de quelle manière la fraternité est
comprise dans ces régions. Il nous fallut trois quarts