
l’un et l’autre avant leur père: Méhémed-Ali-Mirza,du
choléra, au moment où il allait s’emparer de Bagdad,
et Abbas-Mirza emporté par une maladie mystérieuse,
lorsqu’il allait entrer victorieux dans Hérat.
La province de Kermanehâh s’était ressentie avantageusement
de la rivalité des fils de Feth-Ali-Châh.
Méhémed-Ali-Mirza, qui avait intérêt à se ménager
la population de cette contrée, l’administrait d’une
manière toute paternelle; ses largesses avaient considérablement
enrichi la ville, où une nombreuse population
vivait dans l’abondance; par malheur, ce peuple
en a été chassé par la tyrannie des successeurs de ce
prince, qui n’ont eu en vue que leurs intérêts personnels.
Aujourd’hui, les beaux bazars de Kermanehâh sont
déserts, les neuf dixièmes des boutiques sont fermés,
et sitôt qu’un malheureux, attiré par l’espoir d’un gain
minime, se hasarde à y étaler sa marchandise, il est
violemment dépouillé par une soldatesque indisciplinée,
qui se livre à toutes sortes d’excès, avec la certitude
de l’impunité. La terreur inspirée par ces soudards
est telle, que lorsque les habitants ont des
démêlés entre eux, ils redoutent de s’adresser aux
tribunaux ordinaires, forcés qu’ils sont par les serbas
(soldats d’infanterie persans) de les prendre pour
arbitres de leurs différends. Il va sans dire que ces
jugements sont sans appel, et se terminent'presque
toujours comme dans la fable de Y Huître et les Plaideurs.
L’émir Meuhb-Ali-Khan, gouverneur de la
province, est ce même général dont l’ignorance et la
lâcheté compromirent tant de fois le succès des armes
persanes sous les murs d’Hérat, en 1838 ; mais, comme
il appartient à la famille des Makoulis, que protégait le
premier ministre Hadji-Mirza-Aghassi, ses vices furent
transformés en vertus aux yeux du Châh. C’est ainsi
qu’il arriva à l’un des premiers emplois militaires et
qu’il dirige encore l’administration de l’une des provinces
les plus riches de la Perse. Le mal ne serait
point irréparable, si ce personnage se contentait de
prélever le double et même le triple des impôts dus par
les habitants de Kermanehâh: mais hélas! il les a
complètement dépouillés. La misère est affreuse partout
où pèse sa juridiction ; la plupart de ces malheureux
n’ont pas de pain à manger, et, lorsqu’ils se sont
adressés à la cour, pour qu’on leur rendît justice, on
les a traités de rebelles, on les a gratifié de la bastonnade,
et Meuhb-Ali-Khan est resté gouverneur1. Cette
1 Ce que raconte M. Février n’est hélas! que trop vrai. Un
témoin occulaire nous a raconté que, pendant son séjour à Ker-
manchâh, en 1846, il avait élé témoin du plus horrible spectacle.
Un monstre à figurehumaine, Meuhb-Ali-Khan, gouvernait
la province e t opprimait les habitants de la plus terrible
manière. Ce misérable qui avait acheté son gouvernement de
Hadji-Mirza-Aghassi, après s ’être emparé Sans autre façon des
biens des h ab itan ts, avait complété la liste de ses rapines, en
envoyant tous les troupeaux volés par lui dans les propriétés
qu’il possédait près de Makoo e t d ’Ararah. Le peuple en était
réduit à manger l’herbe des champs pour ne pas mourir de
faim, et l’on voyait des enfants amaigris, e t entièrement nus, se
traîner, l’estomac gonflé, comme cela arrive aux pauvres affamés,
et certes les enfants qui ont faim sont un horrible spectacle!
Dans une rue où passait le voyageur, il trouva les habitants
couchés, à moitié morts, le long de leurs maisons. Il y avait là,
horrible mélange ! une famille en tiè re , le p è re , la mère, e t de
nombreux enfants amoncelés en un groupe informe, e t ne pouvant
se remuer accablés qu’ils étaient par la fièvre e t l’approche de la