
ai rivâmes au pied du dernier échelon de la montagne
que nous avions entrepris de franchir ; c’est là que
•cessent 1 eau et les arbres, l’ombre de ceux-ci est remplacée
par celle d’un petit caravansérail en pierre,
grossièrement construit, que l’on trouve fort à propos
pour se reposer de l’ascension que l’on vient de faire,
et pour se préparer à celle plus difficile encore
qu’il reste à effectuer. En effet, le dernier chaînon,
quoique peu élevé, est tellement fatigant à franchir
à cause de la roideur de sa pente presque à pic,
qu il ne faut pas moins d’une heure, en faisant des
efforts inouïs, pour arriver à son sommet. Je n’avais
jusqu’alors, et je n’ai rien vu depuis de semblable
dans mes voyages en fait de route. Les mulets de
charge refusant d’avancer, il fallut dédoubler leurs
fardeaux et s’y prendre à deux fois pour les faire apporter
sur le haut de la montagne : il fallut aussi porter
les femmes et les enfants; les hommes harassés
tombaient d’inanition à la suite de ce rude exercice.
Le soleil de mai, déjà très-chaud à cette époque,
dans les plaines de la Perse, se faisait à peine sentir
sur cette sommité, où régnait un froid glacial qui nous
empêchait presque de nous mouvoir : c’est ce qui fut
cause que je jouis peut-être avec moins de plaisir du
majestueux spectacle qui s’offrait à nos yeux. Au
milieu d’une vaste plaine située entre les montagnes
sur lesquelles nous nous trouvions et une autre chaîne
placée plus au nord, qui sépare le Khorassan des contrées
turkomanes, se dessinait, très-distinctement, à
huit farsangs de nous, la sainte et grande ville de Me-
ched. La coupole et les minarets dorés qui décorent la
mosquée renfermant le tombeau de 1 Iman Ré/.a se
reflétaient magnifiquement sous les rayons d’un soleil
éclatant; le long ruban de verdure que nous devions
traverser, en descendant la montagne, se déroulait pittoresquement
sous nos pieds, et quand on était pourvu
d’une longue-vue, on pouvait distinguer une foule
d’allants et de venants qui se rendaient dans la cité
bénie de Dieu. Quant à nos pèlerins, malgré leur fatigue
, ils tombèrent d’abord en extase, puis en
délire, à l’aspect du tombeau de leur Iman vénéré.
Ils ne cessaient de crier, de toute la force de leurs poumons
: Yah Alil yah Imam Réza! puis, après avoir
récité leur namaz, chacun d’eux déchira un lambeau
de son vêtement, et l’accrocha à un buisson voisin,
comme une offrande faite à l’iman chéri. Je ne
pouvais d’abord me rendre compte de ce que signifiaient
ces myriades de petits chiffons aux mille couleurs,
qui décoraient ainsi ce lieu désert; ce fut le
Séyid conducteur, devenu mon ami depuis qu’il me
voyait vêtu autrement qu’en Arabe, qui se chargea de
m’expliquer comment l’oeil de l’iman est toujours fixé
sur le haut de cette montagne : aussi ce qu’y laissent
ceux qui l’ont en vénération lui rappelle-t-il ce qu’il
doit faire en leur faveur auprès d’Ali, de Mohammed
et autres saints personnages, pour leur rendre Dieu
favorable. A côté et autour de ces buissons pavoisés
de guenilles, je remarquai des amas de pierres entassées
ou élevées pyramidalemeiTt les unes au-dessus
des autres, que nos pèlerins se dépêchaient d’accroître
avec des cailloux épars sur le sol. Je leur demandai
en vain l’explication de leur conduite, nul ne put me