
bre des habitués de la place de Khanè-Kine ; les aliments
s’y vendent un prix exorbitant, quand on en
trouve, car le plus souvent il n’y a rien à manger, et il
est prudent de se pourvoir a 1 etape précédente. Dans
les jours d’abondance, on peut y acheter des oeufs, du
lait aigre, du mauvais pain noir, de l’orge et de la
paille, que les habitants vont chercher dans les autres
localités pour les revendre aux voyageurs, car leur
pays ne produit rien absolument, si ce n’est les cailloux
dont le sol est recouvert à six pouces d’épaisseur.
Kasr-Chirine est construit à l’extrémité ouest d’une
grande ville en ruines, dont l’enceinte, parfaitement
indiquée, forme un carré long d’une lieue au moins
de développement, sur les faces les moins étendues.
De nombreux pans de murailles et des restes d’édifices,
aui devaient être grandioses, sont encore debout
: d’énormes blocs de pierres de taille ont seuls été
employés pour ces constructions. Ce devait, à coup
sûr, être une cité importante. Ces vestiges anciens
s’étendent encore très-visiblement sur une longueur
de quatre farsangs. Les Persans aiment fort le merveilleux,
aussi n’ont-ils pas manqué d’écrire une foule
de légendes sur cette localité ; elles sont surtout
en l’honneur de la belle Chirine et de son amant Fer-
had, habile sculpteur, auquel ils attribuent les travaux
les plus gigantesques. Ce fut lui, disent-ils, qui creusa
dans le roc vif un aqueduc de cinq farsangs de longueur
dont on voit encore les ruines, s’étendant du
pied des montagnes jusqu’à la ville. L’artiste amoureux,
au dire des légendes, l’alimentait avec des flots
de lait destinés à abreuver son coursier favori, logé
dans le château de sa bien-aimée. Cette célèbre Chirine,
tant célébrée par les auteurs persans, vivait au
commencement du vu* siècle; elle était la favorite
du roi sassanide Khosrou-Purviz, et répondait néanmoins
à la flamme du sculpteur Ferhad. Khosrou ne
l’ignorait point. Il promit à ce dernier de lui céder
l’objet de ses feux, s’il parvenait à percer un rocher
énorme, par où l’on pourrait amener dans la plaine
d’abondantes eaux qui coulaient et se perdaient, sans
profit pour personne, à travers les montagnes. Ferhad
se mit aussitôt à l’oeuvre, et ce travail, que tout le
monde avait jugé impossible, fut cependant conduit
avec le plus grand succès par l’artiste amoureux. 11
touchait presque à sa fin, lorsque le roi, craignant de
.perdre sa belle maîtresse, envoya un messager à Ferhad
pour lui annoncer que Chirine venait de mourir.
Cet infortuné se trouvait alors sur la cime d’un rocher
très-élevé : dans son désespoir, il se précipita dans
l’abîme ouvert sous ses pieds et mit fin à son existence.
Quant à la belle Chirine, quoique les auteurs assurent
qu’elle aimât passionnément Ferhad, ils prétendent
qu’elle s’empoisonna, quelque temps après, autant par
l’effet du désespoir qu’elle éprouva de la mort du roi
Khosrou, que pour échapper à l’amour incestueux de
Sirsez, son fils et son successeur. Tous les anciens monuments
qu’on voit encore en Perse, et dont les habitants
ignorent l’origine, sont exclusivement attribués
par eux à Ferhad ou à Roustem.
Je n’ai pas besoin de faire ressortir l’invraisemblance
de la version persane sur l’origine de la ville
de Kasr-Chirine. A n’en pas douter, elle existait déjà^