
consternés de voir que j’ajoutais peu de foi à leur histoire,
firent de grands efforts pour me dissuader de la
pensée que j’avais de manger à mon dîner un de ces
poissons; mais quand je leur eus certifié que j ’avais
des télesm (talismans) qui détruiraient tous les maléfices,
ils ne s’opposèrent plus à mon dessein. A vrai
dire pourtant, ils me suivirent des yeux jusqu’à la fin
de mon repas et se retirèrent seulement alors, intimement
convaincus que je devais être sorcier ou quelque
chose d’approchant '.
1 11 y avait certainement beaucoup de superstition dans la
croyance de ces villageois, mais cependant leurs craintes n’étaient
pas sans fondement; j ’en lis plus ta rd , en 1849, une expérience
qui faillit me coûter la vie. C'était à Ispahan, je revenais
de Chiraz. Privé de poisson frais depuis longtemps, je mangeai
avec avidité une grosse tanche, provenant du Zayendèh-Roud et
en tout semblable à celles de Nouvaràne. Deux heures après, je
fus pris de coliques, de diarrhée, de vomissements affreux ;
j ’avais les mêmes symptômes que l’on remarqué dans le choléra.
Les Persans me donnèrent bientôt l’explication de cette subite
e t dangereuse indisposition : j ’avais mangé jusqu'au dernier les
oeuls de ce maudit p o is so n , que les Persans considèrent
comme une substance vénéneuse des plus actives. Je me rappelai
alors les tanches de Nouvaràne, dont je n ’avais mangé que la
chair, et je fus à peu près convaincu que les habitants de ce village,
ignorant les effets malfaisants des oeufs, s’en étaient nourris
comme moi e t en avaient éprouvé les mêmes effets. Avec
un penchant aussi prononcé que le leur au merveilleux e t à la
superstition, il n’en fallait pas davantage pour les laisser croire
à l’histoire qu’un Mollah leu r avait faite sur ces poissons.
CHAPITRE 1Y.
Chémérïn. —Kocbguek.—Le pic de Damavend— Khanabad.
—Rabat-Kérim.—Les irrigations. — Moyens de voyager en
P e rs e .-L e Ferman royal.—Voyage à cheval. -L a compagnie
d’un Mehmandar,—Sa manière d’agir.—La route de la caravane.—
Le Djilo-dar.—Le Persan et son âne.—Les mules et
les muletiers. -Profession de foi d’un Persan. — Abdoukh.
—Les Caravansérails.— Téhéran. — Aspect de la ville._
Réflexions mélancoliques.—Projets joyeux. —Le général
Semineau.—Indiscrétion du docteur Jacquet. —Le village
de Châh-Abdoul-Azim.—Renvoi démon domestique.—Conséquence
de cette décision.—Voyage avec une caravane se
rendant à Meched.
Chémérïn. — 29 avril. — 3 farsangs, cinq heures et
demie de parcours, à travers les montagnes et par
une route facile qui court de plateau en plateau. On
rencontre des villages, des vergers et des champs
d’une très-belle culture, presque sans interruption; la
vigne et le noyer dominent toutes les autres espèces
de plantations.—A la chaleur du jour précédent et à
la pluie ont succédé un vent glacial qui nous accompagne
jusqu’à Chémérïn, gîte de cent cinquante
feux, situé sur le revers d’une montagne.
Kochguek.—30 avril.—Cinq farsangs, trajet de sept
heures et demie à travers les montagnes, par une
route facile, dont la première moitié est inculte et peu
habitée. Pendant les deux dernières farsangs, au contraire,
on aperçoit à droite et à gauche quelques jolis