
le \ 1 au matin on amena dans la cour six chevaux qui
nous étaient destinés, quatre comme montures,et deux
autres pour mon bagage. Le Khan avait jugé prudent
de ne pas me laisser emporter mes malles; c’est un
objet qui,dans l’Asie centrale,excite au plus bautdegré
les soupçons de ses populations avides; en les voyant
fermées et cadenassées, les Asiatiques les supposent
toujours remplies d’or et sont souvent tentés de faire
un mauvais parti à leur propriétaire, afin de s’en emparer.
Les kourgines, espèce de grandes besaces qu’on
met en travers du cheval, ne tentent pas autant la
cupidité des gens mal intentionnés; je renfermai mes
effets dans deux d’entre elles qui, chacune, devaient
être portées par un cheval; mon bagage ainsi dédoublé
était devenu léger et nous devions mener en laisse
ou chasser devant nous les chevaux qui en étaient
chargés. Ce mode de voyage est certainement le plus
agréable dont j’aie essayé en Asie, mais il n’est pas
possible de l’employer partout. Je franchis à peu
près dix à quinze farsangs par jour, jusqu’à mon retour
à Hérat,avec des chevaux que nous renouvelions
jusqu’à trois et quatre fois par étape, dans les campements
placés le long de ma route. La production du
ferman de Mahmoud-Khan suffisait pour nous les
faire délivrer sans mot dire : un guide qui changeait
en même temps que les chevaux nous accompagnait
toujours et se chargeait de nous aplanir
toutes les difficultés. Jamais je n’avais eu pays
plus dangereux à traverser, et jamais cependant je
ne fus moins inquiété. J’évitais, il est vrai, de trop
me mettre en avant; je laissais ce rôle à Roustem et
à Rabi, et quand nous arrivions au gîte, je me couchais
aussitôt, évitant le plus souvent de parler en
prétextant un violent mal de gorge. Toutefois, si nous
fûmes exempts des investigations soupçonneuses des
Eïmaks, je ne puis faire le même éloge de leurs chiens,
qui sont bien les plus hargneux et les plus indisciplinés
que j’aie vus de ma vie : dès que nous arrivions
dans un campement, nous en étions entourés, assaillis
au point de ne pouvoir mettre pied à terre; et pourtant
ils finissaient toujours par abandonner peu à peu mes
compagnons, dont ils se contentaient ensuite de flairer
les mollets, pour se reporter sur moi avec acharnement.
On eût dit qu’ils voulaient me signaler à leurs
maîtres comme un intrus cherchant à passer en contrebande.
B o u d h i.^ -ll juillet. — 10 farsangs de marche. La
nature du pays que nous traversâmes, pendant la première
moitié de cette étape, était très-variée. La végétation
la plus vigoureuse s’y étalait à côté de la plus
complète aridité. Les montagnes situées sur notre
gauche étaient nues, dépouillées, et n’offraient à la
vue que des rochers abruptes, tandis que celles de
droite étaient recouvertes d’arbres assez nombreux,
au milieu desquels s’étalaient çà et là quelques cultures
indiquant la présence d’un village. La vallée dans
laquelle nous cheminions était d’une fécondité remarquable,
mais la chaleur s’y concentrait comme dans
une fournaise. La population nomade y était abondante,
et leurs campements heureusement situés au
milieu de bouquets d’arbres traversés par des eaux
vives. 11 en est ainsi pendant six heures de marche,