
« vous l’avez été jusqu’à ce jour: vous êtes également
« libre de quitter Hérat. Décidez-vous1.» Il me fallut
plus d’une heure d’efforts, de dénégations et de protestations
pour convaincre Yar-Méhémed-Khan que je
n’étais pas Anglais, et notre conversation qui, à mon
grand déplaisir, s’était beaucoup trop animée, finit
par rentrer dans les limites bienveillantes d’où les
1 La narration faite p ar M. Ferrier de son entrevue avec Yar-
Méhémed est très-intéressante; il paraît avoir parfaitement compris
et apprécié le caractère du Vézir.
Yar-Méhémed avait raison lorsqu’il supposait que l’influence
des Anglais à Hérat se serait trop enracinée pour qu’elle lui fût
agréable. A l'époque même où la Mission quitta la ville, je crois
qu’il nous e û t été très-facile de nous y maintenir malgré lui, en
supposaut toutefois qu’on eût jugé nécessaire de risq u e r un
conflit. Ce prince ne trouvait pas bon qu’aucun de ses sujets
fût protégé par la présence de la Mission contre l’oppression
de ses soldats, ou que, sous la surveillance des officiers anglais,
on dépensât de l’argent pour ouvrir des canaux, rép a re r les
chemins, faire des avances aux cultivateurs e t aux manufacturiers,
e t rendre au pays un état de prospérité comparable à celui qui
existait avant l’invasion des Persans. Je n’hésite pas à croire que,
si les arrangements faits par M. Eldred Pottinger avaient continué,
lesquels consistaient à payer directement par les mains du
tré so r royal anglais, au lieu de s’acquitter par l’entremise de
Yar-Mébémed, l’Angleterre aurait conservé Hérat malgré tous
les revers essuyés dans l’Afghanistan. L’estime que les habitants
de Hérat professaient pour les officiers anglais est confirmée par
le docteur Wolf, dans le récit de son voyage à Bokhara. Yar-
Méhémed aurait eu, du re s te , mauvaise grâce à garder rancune
ou à professer de méchants sentiments contre nos officiers, quoiq
u ’il pensât être très-heureux de se voir délivré de leu r influence.
Moi qui connais le chef actuel de Hérat, le Châh-Zadèh-Méhé-
med-Youssouf, je puis assurer qu’en toutes circonstances il sera
p rê t à en tre r en relation amicale avec n o u s.— L.
soupçons du Vézir-Saheb à mon endroit l’avaient fait
sortir un moment. Nous nous entretînmes alors des
divers États de l’Europe, des sciences, des arts, surtout
des chemins de fer, des aérostats et des télégraphes
électriques. Les jugements qu’émettait Yar-Méhémed-
Khan me parurent constamment empreints d’un grand
sens, et j’en conclus qu’il ne lui manquait que quelques
études pour développer en lui les qualités d’un
homme supérieur. Mais l’ignorance dans laquelle il
a vécu jusqu’à ce jour, l’entretient dans des illusions
dont il n’est pas facile de le faire revenir. Ainsi, ce
prince possède une foule de mines de fer, de plomb,
d’argent et même de cuivre aurifère, et il brûle du
désir de les mettre en rapport : il voudrait aussi avoir
des métiers à filer et à tisser la laine, la soie et le coton
à la manière européenne, fabriquer des canons,
des fusils; mais il voudrait tout cela avec l’esprit afghan,
c’e st-à -d ire sans débourser l’argent nécessaire.
Il a, de plus, le travers commun aux Orientaux de
croire que tout est possible dans le plus bref délai
; qu’un seul homme doit avoir toutes les connaissances,
suffire à vingt travaux différents, et qu’il peut
trouver dans son pays, dépourvu de tout, les matériaux
nécessaires à la confection des machines sans
lesquelles il ne pourra pas arriver à la réalisation
de ses projets. Son impatience est cause qu’il
n’obtiendra jamais les résultats qu’il désire; et puis,
d’un autre côté, son revenu est trop modique pour
qu’il puisse se permettre de grandes dépenses, et il
lui serait impossible de faire venir d’Europe des machines
et des ouvriers pour atteindre le but qu’il