
mes, un Kérendien mordait la poussière. À latin ceux-
ci, las de se voir tous tués sans aucun résultat, résolurent
d’en finir en incendiant la maison assiégée, qui
était construite en bois. Les matières combustibles qu’ils
entassèrent tout autour, et auxquelles ils mirent le
# feu, l’eurent bientôt dévorée. Hadji-Khan préféra mourir
en soldat plutôt que de se laisser brûler sans vengeance;
suivi de ses dix braves, il sortit de sa retraite
comme un lion furieux, et se précipita sur les assaillants.
Mais son courage ne pouvait triompher de leur
grand nombre. Entouré et frappé par ces forcenés, il
tomba pour ne plus se relever, percé de quarante-
quatre coups de sabre. Le gouvernement persan, avec
sa faiblesse ordinaire, ne crut pas devoir user de répression
pour punir un pareil guet-à-pens ; il pardonna
aux Kérendiens et réduisit le chiffre de l’impôt auquel
ils étaient taxés. C’est ainsi qu’en Perse la certitude
de l’impunité relâche tous les liens de l’obéissance. Là,
point de juste milieu; quand on n’y déploie pas des
rigueurs inutiles, on y affiche la faiblesse la plus dangereuse.
J’ai su depuis que le gouvernement persan avait
eu de bonnes raisons pour ne pas sévir contre les
Kérendiens; car le récit qu’on vient de lire est le
rapport officiel, qu’H adji-Mirza-Aghassi‘, premier
1 Hadji-Mirza- Aghassi était né à Erivan, devenue aujourd'hui
ville russe. C’est lui qui éleva Méhémed-Châh, dernier souverain,
et qui devint son premier ministre, lorsque celui-ci monta
su r le trô n e ; il occupa cette position ju sq u ’à sa mort. Homme
d’une haute capacité, mais cruel et rapace, il vendait les grandes
dignités du gouvernement et toutes les places de 1 administration.
Bien plus encore, comme les concessionnaires n’espéraient pas
ministre, habitué à tromper son maître sur toutes
choses, avait fait à Méhémed-Châh sur cet événement,
ce qui veut dire qu’il n’y avait pas un mot de vrai.
C’est cependant le récit qui a été inséré dans les Annales
persanes par le Tévarik-neuvis (historien) des
Kadjars, pour servir plus tard de document à l’histoire
de leur dynastie. C’est là ce qui m’a décidé à ne
point le retrancher de cet ouvrage; ce sera une preuve
de plus de la nécessité où l’on est de se défier des
récits contenus dans les livres persans. La vénalité ou
la crainte engagent toujours les écrivains à dénaturer
les faits, et il arrive bien rarement qu’il se trouve
parmi eux un homme assez courageux pour faire entendre
la vérité; ajoutez à cela qu’il est fort difficile de
savoir ce qui se passe en Perse, par suite du manque
de journaux, delà difficulté des communications et du
despotisme du gouvernement, qui ne souffre la révélation
ou la publication des événements que lorsque
cela se fait d’une manière louangeuse pour lui. 11 faut
donc rester trés-longtemps dans ce pays et bien connaître
la personne qui vous fournit des renseigneresler
longtemps en place, il leu r p e rm e tta it de pressurer le
peuple comme bon leu r semblait. L’armée n’existait de fait que
sûr les cadres, car les soldats résidaient chacun chez eux et
les officiers mettaient la paye du régiment dans leu r poche.
Naturellement les Russes gouvernaient la Perse à leur g ré , surtout
avec un pareil ministre qui ne se gênait pas pour dire, lorsque
quelque chose lui déplaisait : « Je suis Russe e t non Persan
et si le Châh ne veut plus de moi, je ferai seller ma mule pour
retourner à Ërivan, mon pays natal. » Pendant tout le temps de
con ministère les Anglais avaient presque perdu leur influence
en Perse.—R.