princesse Fakhret-Dooulet, tante du Châh de Perse,
quelques princes ses frères, et plusieurs seigneurs
attachés par des emplois à la cour de Téhéran. J’en
reconnus plus d’un qui n’eut pas cet avantage sur
moi, tant le costume arabe et une longue barbe,
peinte en noir, à leur manière, me rendaient méconnaissable.
D’ailleurs je parlais le persan comme eux,
et je passai inaperçu dans la foule : on me prit pour un
négociant grec de Mossoul, car la prudence me faisait
une loi de garder le plus strict incognito. Je rentrais
en Perse sans autorisation, sans but avoué, et les
menées de mes antagonistes, notamment celles de
mon implacable ennemi, Mirza-Abdoul-Hassan-Khan,
ministre des affaires étrangères du Châh, pouvaient
présenter en haut lieu mon arrivée avec une malveillance
fâcheuse, et me placer dans la plus fausse
et la plus dangereuse des posilions. La Perse est un
pays despotique où le fer et le poison jouent un grand
rôle, et pour m’en préserver, je voyageais sous le
simple nom de Youssouf, vêtu d’habits orientaux, et
cachant soigneusement mon identité.
Le 2 avril, la chaleur était déjà excessive; le thermomètre
centigrade marquait 35 dégrés sous la tente.
Les mouches et les moustiques étaient nombreux et
ne nous laissaient pas un instant de repos.
J’avais résolu de m’isoler le plus possible du personnel
de la caravane, afin d’éviter les questions indiscrètes,
et pourtant je ne résistai pas aux avances
polies que me firent quelques cinq ou six pèlerins
parmi lesquels se trouvait un certain Mollah Ali,
espèce de Rabelais moderne, homme d’une taille
exiguë, replet, à la face rubiconde et épanouie, et du
caractère le plus sociable : c’était toujours à son tour
de parler. 11 savait un peu de tout, et on l’écoutait
avec plaisir, même quand il entreprenait de faire son
éloge, ce qui lui arrivait souvent; mais il s’exprimait
en termes si bouffons, si spirituels, qu’il n’y avait pas
moyen de résister au rire fou que provoquaient ses
saillies excentriques. Il me déclara, au premier abord,
qu’il voulait être mon ami, et depuis ce moment, il ne
cessa de faire son possible pour me prouver la sincérité
de l’affection qu’il m’avait vouée. Sa gaieté et
son originalité me firent passer de joyeuses journées.
Cher-l-Bâne. — 3 avril.— 7farsangs‘, dix heures à
les franchir, route unie, sol coupé par de nombreuses
irrigations, nombreux villages à droite et à gauche,
belles récoltes encore sur pied, nuées de sauterelles.
Aux premières clartés du jour, j’éprouvai un moment
d’inquiétude en reconnaissant le prince Timour-Mirza*.
1 Une Farsang représente une distance de trois milles et demi,
à quelques différences p r è s , cependant, suivant les districts oit
l’on voyage. En règle générale, il faut la compter pour un peu
plus de six kilomètres.
' Timour-Mirza était au nombre des princes persans qui visitèrent
l’Angleterre il y a quelques a n n é e s , e t qui, depuis leur
retour en Asie, ont séjourné à Bagdad, vivant de pensions que
leur payait le gouvernement anglais. Le nom de Timour signifie
lion, en langue arabe, e t certes jamais homme ne mérita mieux
celte qualification par son courage e t son audace. En mainte
occasion il s’est battu contre les Arabes qui se présentent
souvent jusque sous les murs de Bagdad. Dans une de ces
ren co n tre s, en 1 8 4 6 , il se vit enveloppé par quelques-uns
de ces enfants du d é s e r t, au moment ou il se livrait aux
plaisirs de la chasse au faucon. Dans le premier moment, les