
lier à cet égard l’opinion de quelques chefs afghans.
Depuis le premier jour de mon arrivée à Hérat,
Yar-Méhémed-Khan m’avait montré assez de bienveillance,
et à chaque instant j’avais à le remercier d’une
nouvelle politesse. Pourtant, à mesure que ses prévenances
augmentaient, ma liberté était aussi de plus en
plus limitée. Elle avait surtout été restreinte depuis la
visite que je lui avais faite. Je ne restais plus seul un
instant; j ’étais obligé de m’observer en toutes choses,
car mes actes et mes paroles étaient épiés et interprétés
d’une façon si bizarre qu’il y avait presque
de quoi en devenir fou. Mon escorte, qui se composait
d’abord de six domestiques du Sertip, fut augmentée
de dix serbas, et chaque fois que je sortais ils
empêchaient les gens de m’approcher ; mon domestique
lui-mêine, quoique Hératien, était accompagné
par un soldat quand je l’envovais en commission. Les
visites qu’on me faisait étaient aussi devenues bien
plus rares qu’auparavant. Enfin, pendant la nuit, la
porte de ma chambre était fermée en dehors, et surveillée
par deux serbas qui couchaient en travers ;
deux autres faisaient en outre faction au dehors,
sur la terrasse, depuis le coucher jusqu’au lever du
soleil, afin que mes prétendus affidés n’y pratiquassent
pas un trou par lequel j’aurais pu m’évader et
révolutionner la ville, car c’était là l’intention qu’on
me prêtait.
Tout en me montr ant dés égards, le Vézir voulait me
gêner au point de me forcer à m’annoncer officiellement
comme le représentant de l’Angleterre : tout cela
avait bien son côté risible, mais ce n’élait point une
compensation suffisante à l’ennui que j’éprouvais
d’être ainsi gardé à vue.
Je n’en finirais point si je voulais consigner ici les
bruits qui circulaient sur mon compte : les uns me
voyaient impitoyablement enfermé, tyrannisé et mis
à la question pour me faire avouer mes secrets; d’autres
attestaient que si j’étais vivant, c’était grâce aux millions
que j ’avais déjàdonnés ou promis au Yézir-Saheb;
quelques-uns, se croyant les mieux informés, disaient
qu’on ne se montrerait pas trop sévère pour moi tant
que je resterais à Hérat, afin de ne pas donner des motifs
de plainte aux Anglais, mais qu’aussitôt après mon
départ de la ville on m’égorgerait dans un coin; on
ferait ensuite disparaître mon cadavre , et tout serait
dit. J’avoue que cette dernière version triompha un
moment de mon incrédulité, car il n’est pas possible
de se fier aux Afghans, qui sont capables de tout.
Cependant les familiers de Yar-Méhémed-Khan rejetaient
tous ces bruils comme calomnieux; dans
la persuasion où ils étaient que je finirais par avouer
la mission dont ils me supposaient chargé auprès de
leur chef ; ils affirmaient que j’avais été détaché
de VÉtrier impérial par mon illustre souverain,
pour venir féliciter le très-glorieux Yézir-Saheb
et lui offrir amitié et appui contre ses ennemis. Au
milieu de ces versions diverses, celle qui me représentait
comme un homme destiné à périr prévalait
sur les autres; mais on ne se la communiquait qu’à
voix basse, et mon nom ne sortait qu’avec la plus
grande précaution de la bouche des faiseurs de nouvelles.
Ils se portaient en foule sur mon passage ,