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suite. Pour couper la retraite au caïman, je fis d ’abord
établir le barrage q u ’on avait préparé d ’avance. Il était
formé p a r trois fdets placés l ’im devant l’autre de peur
(|u ’uii seul ne suffît pas.
« Cette précaution jirise, la cbasse commença. Plusieurs
pirogues réunies ensemble, de manière à ne p o u voir
être renversées, re çu ren t quelques Indiens ai més de
longues gaffes et se lancèrent à la poursuite du caïman.
« Dès q u ’il p a ru t, il fut assailli de coups de fusil tirés
du rivage et attaqué .à coups de lance p ar les hommes
(pii montaient les pirogues. Les balles rebondissaient sur
ses écailles sans les p én é tre r. Les lances en tra ien t; mais,
an moindre mouvement du monstre, le bois était rompu
et le fer restait fiché dans le corps de l ’animal.
« B ientôt la douleur le ren d it furieux; ce fut lui désormais
qui sembla vouloir p re n d re l ’offensive ; il saisissait
les gaffes d o n t on le frappait et les brisait comme des
roseaux. Il battait l ’eau de sa queue, se ru a it sur les p irogues
q u ’il s’efforcait de renverser et menaçait ses assaillants
en o u v ran t son énorme gueule toute p rête à les
dévorer.
« C’était le moment que j ’attendais p o u r le tire r. ,T’en-
voyai plusieurs balles dans la gueule ouverte du monstre
sans parvenir à l’arrête r. Son corps était hérissé de
fers de lances et il ne paraissait pas avoir rien perd u de
ses forces. Ses évolutions furieuses se dessinaient sur la
rivière en lignes brisées, pareilles aux traits de lumière
d o n t l’éclair sillonne la nue. De temps en temps, il s’arrêtail
à peu de distance du rivage ou des pirogues et
les coups de sa longue queue faisaient jaillir l ’eau de manière
il nous inonde r. Je ne savais plus comment p o u rrait
finir cette lutte violente qui d u ra it déjà depuis h u it
beures. Nous en étions tous épuisés, le caïman seul ne
donnait encore aucun signe de faiblesse.
(( Il s’arrêta p o u rta n t au fond de l’eau comme p o u r se
reposer. En ce moment u n Indien armé d’une très-forte
lance p arv in t à le toucher. Sur un signe de lui un autre
Indien d o n n an t un vigoureux coup de masse sur le bois
de la lance enfonça le fer dans le corps de l’animal.
Cette fois le monstre était sérieusement blessé. 11 s’élança
p a r un effort suprême dans la direction du lac, rompit
deux filets et vint mou rir dans le troisième. La lame
avait pénétré dans la colonne vertébrale et attein t la
moelle épinière.
(( Il fallut q u aran te bommes p o u r le tire r de l’eau. 11
avait vingt-sept pieds de long e t onze pieds de circonférence
mesurée à la poitrine. Sa tête seule pesait deux
cent soixante livres. Son estomac contenait to u t un cbeval
divisé p ar quartiers et une centaine de livres de
pierres d o n t plusieurs de la grosseur du poing. Des
balles q u ’on avait tirées sur son corps, aucune n ’avait
péné tré. Celles q u ’il avait reçues dans la gueule s’étalent
aplaties sur les os des mâchoires sans les endommager*. »
’ Cette téte , donnée à M. Russe!, est déposée dans un cabinet
d’histoire naturelle aux États-Unis d’Amérique.