Mes lioiiinies passèrenl comme moi. Uéunis alors sur
l’aulre rive, nous commençâmes à respirer.
« Notre premier soin fut d ’allumer un bon feu p o u r
sécber nos liabits et cuire un peu de riz. Nous n ’avions
encore rien pris de la jo u rn é e ; depuis n o tre d ép a rt de
.lalajala, nous n ’avions fait q u ’un seul repas p ar jour.
Nous pouvions ma in ten an t manger et nous reposer ; le
dernier obstacle que nous eussions à craindre p réc édemment
était vaincu ; il n ’était plus nécessaire de
nous presser autant.
« .l’eus alors le loisir de considérer le lieu où nous
étions arrivés. La végétation y était aussi belle que sur le
plateau on nous avions passé deux jo u rs auparavant. Je
m’arrêtais à cbaque pas p o u r admirer les beaux arbres
qui nous en to u ra ie n t, particulièrement les immenses
figuiers do n t les branches, laissant tomb e r sur le sol de
])endantes r a c in e s , semblaient s ’appuyer sur une multitude
de co lo n n e s, e t formaient ainsi des espèces d ’édifices
aux formes bizarres et variées.
« Pourtant je me sentais épuisé de fatigue. La route
devenait plus inégale; il fallait, à chaque in stan t, mo n ter
on descendre dans un terrain très-accidenté. J ’allais
m’a rrê te r encore avant la fin du jo u r, quand je crus en tendre
dans le lointain un b ru it sourd pareil au mugissement
de la mer brisant sur le rivage. Nous arrivions,
en effet, sur les plages orientales de l’île Luçon.
« Ce bru it ranima mon courage ; je pressai le pas
pour sortir de la forêt et une demi-heure après nous
étions en p.ays découvert, au b o rd de l’océan Pacifique.
« Les rayons d ’un soleil b r illa n t, que n ’a rrê ta it plus
aucun o b sta c le , vinrent nous réchauffer et achever de
sécher nos vêtements encore humides. Cependant le jour
finissait et nous avions grand besoin de repos. Nous
nous arrêtâmes sous de beaux eucalyptus, où je me d éterm
inai à passer la n u it. Mes In d ie n s , comme de co u tume
, s’empressèrent de p ré p a re r le gîte e t le souper
qui devait être meilleur ce jo u r-lq , grâce à la grande
quantité de coquillages que nous trouvâmes sur le bord
de la mer.
(( Le soleil co u ch é , je m’étalai avec une certaine
volupté, n o n plus sur d ’inégaux morceaux de bois, mais
sur un sable fin et uni q u ’avaient échauffé les rayons du
soleil. Je ne craignais plus ni l ’orage , ni les sangsues ;
j ’allais d o rm ir enfin d ’un bon sommeil et puiser dans
un repos salutaire des forces nouvelles : je le croyais du
moins.
« Je fus bientôt cruellement détrom pé. L n nouvel
ennemi nous attendait, sans se m o n tre r encore : il p a ru t
comme nous commencions à nous endormir. Cet ennemi
n ’était autre q u ’une nombreuse troupe de Crabes
hermites qui nous assaillirent de tous côtés. Ln de ces
Crustacés saisit, de sa grosse serre, la main d ’un de mes
Indiens et en fit jaillir le sang. Au cri que la douleur arracha
au blessé, nous nous réveillâmes tous à la fois. Ce
fut p o u r nous voir nous-mêmes entourés d ’un e multitude
de Crabes.
B o n ite . — R e la tio n d u voyage. T om t I I I . 6