penser à rallumer le foyer éteint. Mon guide pressait le
d épa rt. Il craignait q u ’un re ta rd de quelques heures ne
d o n n â t à une rivière qui nous restait encore à franchir
le temps de grossir assez p o u r nous empêcher de passer.
Si cela fût arrivé, nous étions condamnés à rester peut-
être plusieurs jo u rs dans ces lieux sauvages, sans vivres
et sans moyen de nous garantir de l ’orage ; car nous
n ’aurions pas même pu re to u rn e r sur nos p a s , em prisonnés
que nous étions de ce côté p a r d ’autres rivières
probablement débordées aussi.
« La crainte d ’un pareil sort nous fit double r le pas
p o u r so rtir de la forêt ; comme nous av a n c io n s, nous
rencontrâmes sur notre route un bomme de la trib u des
Aejétas qui, surpris comme nous p a r l’orage, avait passé
la nu it sous une feuille de palmier. Il d o rmait accroupi
p ar te rre , les coudes sur les genoux et la tête cachée
dans ses deux mains. Nous le réveillâmes, espérant tire r
parti de son expérience et de son adresse p o u r nous
a id e r ci sortir du mauvais pas où nous nous trouvions.
On p eu t se figurer l’effet que produisit, dans le premier
moment, sur l’esprit de ce pauvre diable, la vue d ’une
troupe d ’étrangers armés qui venaient ainsi le su rp re n dre,
seul, loin de to u t secours des siens. Je me hâtai de
le rassurer, en lui d o n n an t du ta b a c , et je lui fis signe
de nous suivre, ce q u ’il exécuta sans difficulté.
« An b o u t de six heures de marche, nous vîmes dev
ant nous la rivière qui nous restait à franchir. Comme
l’avait pensé mon gu id e , elle était déjà très-grossie par
suite de la pluie tombée p en d a n t la nuit. Le courant en
était si rapide, que l’oeil avait peine à suivre les troncs
d ’arbres et la multitude de débris entraînés p a r ses
eaux. Je crus d ’abord q u ’il nous serait impossible de
surmonte r ce dernie r obstacle, et je commençais déjà à
désespérer de mon entreprise, q u an d mes Indiens, confiants
dans les ressources du sau v ag e , l’invitèrent par
signes à nous faciliter le passage.
« L’Aejéta réfléchit un in s ta n t, regarda le to r re n t,
comme p o u r mesurer la difficulté q u ’il s’agissait de vaincre
; puis to u t à c o u p , choisissant dans le bois une
longue et forte liane, il en d o n n a un b o u t à mes Indiens,
saisit l’a u t r e , et après avoir pris toutes les précautions
q u ’il jugea convenables, il s’élança dans le to rren t.
« Il nageait vig o u reu sem en t, tra în an t après lui la
liane, ju sq u ’à ce q u ’enfin il p u t heureusement atte in d re
la rive opposée. Je l’y vis arriver avec une joie bien
sensible ; ca r malgré ses efforts et son a d re s s e , j ’avais
plusieurs fois tremblé de le voir entraîné e t englouti p ar
le courant.
« Dès q u ’il eut touché te rre , il co u ru t à un a r b r e , y
a ttach a solidement le b o u t de la liane et nous fit signe
d ’agir de même de n o tre côté ; c ’était un va-et-vient qui
devait nous aider à passer nous-mêmes. Je remerciai de
la main n otre obligeant sauvage, et, sur un autre signe, il
dispa rut dans la forêt. Sans son se c o u rs , je ne serais ja mais
parvenu à franchir le to rre n t ; ce n e fut pas même
sans peine que j ’y réussis en me c ramponnant à la liane.