(( Tandis (juc nous cherchions à nous débarrasser de
ces inijiortiins visiteurs , deux flambeaux brillè rent to u t
à COU}) sur la lisière du bois. Ils étaient portés p a r un
homme et une femme aejetas qui venaient de n o tre côté.
Les voyant à peu de distance de n o u s, je saisis mes
armes et mes hommes firent de même, prêts à se défendre
s’ils étaient attaqués. Le couple sauvage vit ce mouvement.
Rebroussant cbemin au ssitô t, il se p e rd it dans
la forêt. Mais l’alarme était donnée ; il ne nous était plus
permis de songer à dormir ; car, d ’un moment à l’autre
nous pouvions voir paraître une troupe d ’Aejetas armés
de leurs flèches empoisonnées. 11 fallait nous te n ir sur
nos gardes et faire sentinelle p o u r ne pas être surpris.
Cependant la nu it se passa sans que nous vissions p e rsonne
; nous en fûmes quittes p o u r un redoublement de
fatigue.
« Dès que le jo u r p a ru t, nous nous mîmes en marcbe
p o u r aller à la recherche des Aejetas. Nous étions dans
la contrée q u ’ils h ab ite n t, et nous devions indubitablement
rencontre r quelqu’une de leurs bandes chassant
dans les bois du voisinage.
« Nous n ’avions plus de vivres, c a r le souper de la
veille avait épuisé nos dernières provisions. P our les
renouveler, il aurait fallu aller à huit lieues de là, ju s q
u ’au bourg nommé Biuangouan de Lampón, ou p erdre
un temps précieux à pêcher des coquillages. Je préférais
passer toute une jo u rn ée sans manger.
« Après avoir suivi pendant quelques heures le rivage
de l’O c é an , notre guide nous fit ren tre r dans les bois.
Nous y avions à peine fait une d em i-lieu e , que nous
tombâmes justement au milieu d ’une troupe de sauvages.
Ils étaient au nombre de cinquante. A n o tre ap p ro che
ils se levèrent p ré c ip itam m e n t, s’arm è ren t de leurs
arcs et se disposèrent à fuir. Ce n ’était p o in t ce que je
voulais. Tout en m ’applaudissant de la crainte salutaire
produite sur eux par la vue de nos armes à feu , je me
mis en devoir de les rassurer sur nos in te n tio n s , et je
leur montrai des cigares en signe de paix. Ils se ran g è re
n t alors sur une seule ligne p o u r recevoir chacun la
p o rtio n qui lui était destinée. Hommes et femmes devaient
avoir, selon l’usage, p a rt égale à la distribution ;
mais les femmes enceintes ne manquaient pas de faire
rem a rq u e r (en m o n tran t leur ventre) q u ’elles comptaient
po u r deux.
« Quand chacun fut muni du calumet de paix, ils s’accro
u p iren t au to u r du feu e t m ’in v itèren t à pren d re place
au milieu d ’eux. Plusieurs quartiers de ce rf cuisaient sur
le b ra s ie r; ils les p r ire n t, les p artagèrent et m ’en offriren
t un morceau. La glace était désormais rompue entre
nous. Nous devenions amis ; a u s s i, malgré la ré p u gnance
que soulevait en moi la vue de cette viande
presque c ru e , je me gardai bien d ’en faire fi. A leur
exemple, je me mis à déchirer à belles dents le morceau
sanglant qui m ’était servi.
<( Lne femme de la b an d e parlait le tagal. Je m ’assis
auprès d ’elle, afin d ’entamer la conversation. Je l’acca