1,’avocat du garçon prit alors la parole et dit :
« Un vieil aigle habitait sur la montagne. 11 était privé
de la vue et ne pouvait plus chasser p o u r se n o u rrir.
Heureusement il avait un bon fils plein d ’affection pour
ses parents et le plus vaillant chasseur de la contrée. Le
jeune aiglon pourvoyait aux besoins de son père ; mais
il songeait aussi aux mauvais jo u rs, et dans sa prévoyance,
il avait toujours eu réserve une provision de gibier. Ln
jo u r q u ’il chassait dans la montagne, une jeune aigle essayant
ses ailes se présente to u t à coup à ses yeux. Elle
planait légèrement sur la cime des monts. Ses plumes
soyeuses brillaient au soleil comme la nacre ornée de
ses perles, et quand elle vin t se reposer au b o rd d ’une
claire fontaine d o n t l’eau tranquille répé tait sa gracieuse
image, elle p a ru t si belle que la voir et l’aimer furent
po u r le jeune chasseur une seule et même chose. De ce
moment il s’attache à ses pas, se voue à son service, et
redoublant d ’ard éu r à mesure q u ’il sentait s ’accroître
son amour, il lui ren d tous les soins imaginables, sans
oublier p o u rtan t ceux q u ’il doit à son vieux père. Plusieurs
années s’écoulèrent ainsi, sans lasser sa constance,
ni attiédir son affection. Quand il c ru t avoir mérité
d ’obtenir enfin celle q u ’il aimait, il s’enha rdit à la demander
à ses parents. Sa demande fut agréée. Déjà le
jeu n e aiglon, to u t fier de sa conquête, se livrait aux plus
douces joies. Il ne savait pas encore à quelles conditions
était mis son b o n h eu r. Une d ’elles su rto u t le je ta dans
le plus cruel embarras : on exigeait de lui cent pièces de
DE I,A BONITE. «9
gibier p o u r sa future et vingt pièces pour les parents de
celle-ci. C’était to u t ce q u ’il possédait. Qu’allait devenir
son pauvre p ère s’il en faisait le sacrifice à son amour ?
Le vieil aveugle sans ressources mourra it de faim ! Cette
pensée lui navra le coeur. P ren an t son parti to u t de suite
le jeune aiglon, au risque de pe rd re sa bien-aimée, fit
deux parts de son b ien . « Prenez-en la moitié, dit-il, le
reste est p o u r mon p è re ; puisse ma modeste offrande
contente r vos désirs. »
Cette parabole, aussi claire que la première, n ’avait
d ’au tre conclusion que de réd u ire à moitié les p ré ten tions
élevées au nom des parents de la fiancée. Les a rrangements
eurent lieu sur ce pied-là. C’est ainsi, du
re ste , que les choses se passent presque toujours. 11 est
inutile d ’ajouter que, sans doute , les conditions sont
arrêtées d ’avance et que la cérémonie do n t on vient de
voir un spécimen n ’en est que la confirmation.
Des n o irs d e l ’in té rie u r .
Les peuplades indépendantes qui v ivent dans les montagnes
de Luçon so n t généralement confondues sous la
dénomination de négros ou négritos. Ce so n t, selon
l ’opinion commune, les premiers habitants de l’île. Les
Malais les o n t refoulés dans l ’in té rieu r des te rre s , en
s’em p aran t du littoral. Depuis les temps fort anciens
sans doute où cette révolution s’est accomplie, les deux
races sont demeurées distinctes et séparées, sans (¡u’au