
J 7 4 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e »
*— --------- audience. A travers cette grille ils virent un vieil-
A n . 1190. lard d’environ foixante:douze ans , pâle, atténué
de jeunes, la barbe heriffée, les yeux enflez des
larmes qu’il avoit répandues à cette furprenante
nouvelle, dont il étoit encore tout effraie. Les
députez fe découvrirent, s’agenouillèrent, & fe
profternerent fur le vifage : Pierre fe profterna de
fon côté. Enfuite l’archevêque de Lion commença
à parler , & lui déclara comme il avoit été élu
pape par acclamation, tout d’une voix contre toute
efpcrance, le conjurant d’accepter & de faire
ceffer les troubles dont Péglife étoit agitée. Pierre
répondit : Une fi furprenante nouvelle me jette
i 4ft- dans une grande incertitude : il faut confultcr
Dieu, priez-le auflï de votre côté.
Alors il prit par fa fenêtre le décret deleétion,
& s’étant encore profterné,il pria quelque-temps :
puis il dit : il ne faut point de grands difcours
pour des perfonnes telles que vous êtes. J’acceptç
le pontificat, & je confens à l’éleôtion : je me
foumets, & je crains de réfifter à la volonté de
D ieu , & de manquer à l’églife dans fon befoin,
Auflï-tôt les députez lui baiferent les pieds, mais
il les baifa à la bouche : Ils loüerent Dieu & fou?
pirerent de joïc. La nouvelle de cet événement
s’étant répandue, on accourut de tous cotez
voir le nouveau pape ; & entre les autres y
vint Jacques Stefanefchi Romain , depuis cardinal,
de qui nous tenons tout ce détail. Il y vint
des évêques, des ecclefiaftiques, des religieux ,des
comtes, des feigneurs, des nobles, des grands &
des petits : tous s’empreffoient de voir le faint
homme , qui auparavant ne fe laiffoit pas voir à
tous ceux qui le defiroient. Charles Martel fils
du roi de Sicile & roi titulaire de Hongrie vint
à ce fpeétacle comme les autres, & le roi Charles
le Boiteux fon pere vint le lendemain trouver
le nouveau pape à l’abbaïe du faint Efprit,
où il avoit paffé pendant la miit accompagné du
cardinal Pierre Colonne. Ce monaftere du faint
Efprit près de Sulmone étoit le chef de l’ordre,
fondé par Pierre de Mouron, fuivant la réglé de
iaint Benoît, & approuvé vingt ans auparavant
parle pape Grégoire X.
Pierre de Mouron aïant renoncé dès fa jeuneife
à toutes les efperances du fiecle, n’avoit étudié ,
ni le droit ni les autres-jfciences ; & il avoit formé.
dans le même efprit les mornes dç fa nouvelle
congrégation ; enforte que e’étoient de bonnes
gens ruftiques & fans étude. Il fe défioit des
cardinaux & de tout le clergé féculier , & fe livra
à des jurifconfultes laïques, dont il eftimoit
l’habileté pour les affaires ; mais peu inftruits des
matieres ecclefiaftiques qui leur étoient nouvelles.
I l écrivit aux cardinaux à Peroufe qu’il lui
étoit impoflïble de les y aller trouver , & de faire
un fi grand voïage dans les chaleurs de l'efté ,
lui qui étoit avancé en âge & accoutumé au froid
des montagnes. Il étoit environ à foixante milles
ou vingt lieuës de Peroufe II prioit donc les cardinaux
de venir jufques à la ville de l’Aquila., &
de lui faire fçavoir leur intention. Cependant il-
A n . 1294.
t- 4 if .
p. J14-.
xxvm.
Séjour de Celcftia
à l’Aquila.