
6 Sixième T)ifcours
ïll. Les armées s’étant aflemblées & mifes en marche à la prômlerd
Fautes dans l'c- Croifade l'exécution ne répondit pas aux intentions du pape Urbain
xecution delà & du concile de Clermont. Il y a avoit alors peu de difcipline dans la
Croi a e. plûpart de nos armées ; & moins encor.e dans celles des Croifés composées
de volontaires de diveries nations, & conduites par des chefs
indépendans les uns des autres , fans qu’aucun eût le commandement
général : fi ce n’étojt le légat du p a p e , peu capable de contenir de
de telles troupes. AuiTi les croifés n ’attendirent-ils pas pour exercer
des aëtes d'hoitilité qu’ils fuifent fur les terres des infidèles : ils pii—
loicnt & brûloient par tout fur leur paifage, chez les H o n g ro is , les
Bulgares, les G r e c s , quoique tous Chrétien s, & faifoient main baife
fui* quiconque vouloit reprimer leurs violences. I l çn periifoit plufieurs
en ces occafions, & leur nombre étoit notablement diminué quand ils
arrivèrent en Afie. L ’emperpur Alexis qui regn o ita lo rs , avo it eu de
grands différends avec Rober Guichard Duc de Poüiile , & à fon d efa-
vanta ge; de forte que voiant Bo ëmondfils de R o b e r t au milieu de la
G r e c e à la tête d’une armée fo rmidable, il fe crut perdu ; ne doutant
p o in tq u e c e prétendu pelerin ne visât à fa couronne : ainfi -il ne faut
pas s’étonner s’il nuifit aux Croifés de to u t fon p o u v o ir , & fi au défaut
de la force , i l employa.contre eux l ’a r tific e, ihivant le genie de fa
• nation.
Les croifés étoient malinfixuits de l’état des pais q ifils alloient attaquer
: nous le v o ïon s par les relations de leurs e x p lo its , où les noms
des lie u x , des p euples, des princes font étrangement défigurez. Il ne
paroît point qu’ils euifent de routes certaines : ils étoient réduits à prendre
desguides fur les lie u x , c’e ft-à-dire, fe mettre à la merci de leurs,
tJifl.liv.jxix".». ennemis, qui fouvent les égaroient exprès,, & les faifoient périr fans
com b a t, comme il ar riva,à la fécondé Cro ifade .Ils s’afroiblirent en^v
core dès le premier v o ïa g é , en partageant leurs troupes pour confère
v er diverfies conquêtes., N ic é e e , A n tio ch e , Edeffe ; au lieu de to u t
referver pour celle de Jerufalem, qui étoit le but de l ’entreprife.
Mais les differens chefs avoient leurs vûës particulières; & le plus
habille de tous étoit le N ormand Bo ëm ond , qui fe fit donner A n t io -
che : plus fo igneux, autant qu’on en peut ju g e r , d’ établir f i fortune
que de ferv-ir la religion.
Ils arrivèrent enfin à Jerufalem, l’aifiegeren-t & ’ la prirent par
un fuccès qui tient du miracle ; car il n’éto it pas naturel qu’au trar-
vers de tant d’obftacles une entreprife fi mal conduite eût' une fi
heurefe fin. P e u t -ê t r e Dieu raccorda-t-il a quelques bons C h e valiers
qui marchoient droit en cette entreprife par efprit de religion
; comme G o d e fro i de B o u illo n , dont les hifïoriens du tems
louent autant la pieté & la fimplicité que la valeur : mais les C h ré tiens
gâtèrent cette v iâ o ir e par la manière dont ils en uferen t, paf-
Hiil . liv xxxiv# fant tous les Mufuimans au fil de l’ép é e , & rempliffant Jerufalem
n 66, de fang & de carnage. E fp e ro ien t- ils donc les exterminer & abolir
f ur l'Hijîoire Ecclejiaftiquc. y
£ëtte religion avec ce grand empire, qui sétendoit depuis l ’Efpa-
gne jufques aux IndiS? Et q u t llç jd é e donnoiertt-ils aux Infidèles de
la religion Chrétienne; N auroit il pas été plus conforme à l ’cfprit de
l ’Evai gile de les traiter avec douceur & humanité, fe bornant à affû
te r la conquête & la liberté du pelerinsge aux faints lieux;par une telle
conduire on auroit affermi le repos des anciens Chrétiens du p a ïs , on
auroit rendu aimable la domination des nouveaux v en u s , & oh auroit
procuré la converfion de quelques infidèles. Saladin quand il reprit Je-
ruialem en ufa d une maniéré plus digne des C h ré tien s, & fçût bien
leur n p rocher la barbarie de leurs peres.
Mais encore quel fut le fruit de cette entreprife, qui avoit ébranle
& épuifé toute l’Europe ; L e nouveau roïaume de Jerufalem défé
ré au b on G o d e fro i,-p a r le refus des plus grands fèigneurs de la
C r o ifa d e , qui ayant accompli leur voe u , fe preifprent de retourner
chacun c h iz eux; O r on ne trouvera gueres d’exemple dans 1 hi-
ftoire d’un plus petit roïaume , foit pour 1 etenduë du païs , foit
pour la durée : ‘ car il ne dura que quatre-vingt-ans, & ne compre-
no it que Jerufalem & quelques villages d’alentour ; encore étoient-
ils habitez de Mufuimans ou de Chrétiens du pays peu affc<5tionnez
aux Francs. Ainfi le nouveau roi ne p ouvoit compter pour fujets
que le peu qui lui reftoit de croifés; c’eft-à dire , trois cens chevaux
& deux mille hommes d infanterie : voilà à quoi fe reduifit
Cette conquête tant vantée par les hiftoriens & par les poëtes ; &
i l eft étonnant q u o n ait perfçveré deux cens ans dans le defïein delà
conferver ou la rétablir.
Mais c’e ft que les papes & ceux qui par leur .ordre prêchoient l i
C ro ifa d e , ne ceffoient de la reprefenter. a la nobleffe & aux-peuples
comme 1 affaire de D ieu & le meilleur moyen pour affürer leur falut.
Il fa u t , d ifb it -on , vanger la honte de J e fu s -C h r ift , retirer d’entre
les mainsides Infidèles cette terre qui e ftfon h e r ita g é , acquis au prix
de ion fang , & qu il a promis a fon peuple: il a donné fa vie pour vous,
fl eft-il pas jufie que vous donniez la v o tre p ou rlu i ? Pouvez-vous d e meurer
en repos dans vos maifons tandis que' fes ennémis blafphement
fon t faint n om , profanent fon temple & lés lieux qu’il a honorez de fa
prefence par le culte abominable de M ah om e t, & infultent aux fideles
q u i n’ont pas le courage de les en chafîer ? Que répondrez-vous à Dieu
au jour du ju g em en t, quand il vous reprochera d’avoir préféré à fa
glo ire v os plaifjrs & vo tre commodité particulière ; & d’avoir méprifé
un moyen fi facile d’expier vos p echez, & de gagner la couronne dit
martyre? Vo ilà ce que les papes dans leurs lettres , & les prédicateurs
dans leurs fermons reprefentoient avec les expreffions les plus
pathétiques.
A u jou rd 'h u i que les efprits ne font plus échauffez fur cette matière
& que nous la confiderons de fang fro id , nous* ne trouvons
dans ces difcouis n i lo lid ite , ni jufteiîe de raiionnement. O n vou-
Hift. liv, LXX i v *
».ii.
IV.
Motifs de ceg
entreprifes.