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pria N. S. avec beaucoup de larmes de lui faire la
, grâce del’exeeurer comme il la lui avoit infpirée.
L’habitude de la vie mondaine & voluptueufe le
retint encore trois mois dans une grande tiedeur:
mais le jour de faint François étant .allé chez les
freres Mineurs de Majorque,il entendit prêcher un
.évêque, qui reprefenta comme ce faint avoit tout
quitté pour J, G. Raimond touché de cet exemple
vendit auifi tôt- tous; fes biens, à la referve
..de quelque peu pour la fubfiftance de fa femme &
de fes enfans ; ôc partit en réfolution de né ja mais
revenir chez lui. C ’étoit environ l’an 12.66. Il
commença par divers pèlerinages à N. D. deRo-
quemadoür en Quetci, à. S. Jacques en Galice &c
à d ’aucreslieux de dévotion, demandant toujours
a Dieu l’accompliirementdefon defl'ein. Après ces
pèlerinages il vouloit aller à Paris pour apprendre
la grammaire & quelque autre fcience convena-
ble.à la fin qu'il fe propofoit : mais fes parens j fés
amis, 8c principalement S. Raimond déPegnafort
lui perfuaderenr de revenir à Majorque : c’étôit en
126:7. Alois il renonça à la propreté dès habits,
8c fe-revêtit de 1’étofFe la plus groffiere qu’il put
trouver : il s’appliqua à l’étude de la grammaire,
ç ’eft-à- dire du Latin, &c aïant acheté un efclave
Mahometan il apprit de lui l’Arabe,
Neu f ans après 8c en 12.76. il arriva que cet ef-
elave dit quelque blafphême contre J. C. en l’ab-
fenee de Raimond , qui l’aïant appris le frappa au
vifagsu l’efclaYCien conçût un tel dépit,qu’un
jourfe trouYaot fepl avec lui , il lui donna UP Coup
de
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de couteau dans l’eftomac, criant d’un voix terrible
: Tu es mort. Raimond quoique bleifé confi-
derablementle défarma, &c le fit lier &c mettre en
prifon, embarraffé de ce qu’il en feroic : car il ne
vouloit pas le faire mourir , & craignoit pour fa
propre vie, s’il le mettoit en liberté. Il eut recours
à Dieu,qui le délivra de ce miferable : car étant allé
dans la prifon pour le vo ir , il trouva qu’il s’étoit
étranglé de la corde dont on l’avoit lié.
Enfuite Raymond alla fur une montagne peu
éloignée de fa maifon pour y vacquer plus tranquillement
à la contemplation ; & après y avoir
été près de huit jours, tout d’un coup il conçut la
forme du livre qu’il méditoit contre les erreurs des
infidèles : ce qu’il attribua à une illuftration divine,
& commençai compoferfon livre,qu’il nomma
premièrement le grand art, puis l’art général.
I l en fit plufieurs autres enfuite dans le mêmedef-
icin, y expliquant les principes les plus généraux,
d’où il defeendoit à des notions plus particulières,
félon la portée des leéteurs. Pendant qu’il étoic
fur cette montagne dans un ermitage qu’il s’y
étoitfait & où il demeura plus de quatre mois: un
jour comme il étoit en priere, vint à lui un jeune
berger beau & joïeux, qni en une heure de temps
lui dit tant de belles chofes de Dieu , des anges &c
des chofes celeftes, qu’un autre à fon avis n’en au-
roit pu dire autant en deux jours entiers. Ce berger
aïant vu les livres de Raimond les baifa à genoux,
&c lui dit qu’il en viendroit de grands biens
à l’églife. Raimond fut furpris de cette vifite ,
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