
précédant naturellement les autres , la troupe
doit prendre néceflairement la forme d'un triangle
( i ) .
C ’eft ainfii que, depuis les temps les plus anciens
(2 ) , les bataillons de grues fillonnent l’at-
mofphère & traverfent les mers à grandes journées.
T e l eft aufli l’ordre de marche des cigognes,
& iorfque la violence du vent rompt leurs
rangs, elles fe reflerrenr en cercle, comme quand
un aigle les attaque.
Au refte, tous cés voyages, même les plus
longs, fe font avec une rapidité étonnante (3),
& lorfqu’il faut traverfer la vafte étendue des
mers (4), les oifeaux cherchent à fe repofer dans
les îles. C'eft ainfi qu'on voir, chaque année, des
paffages nombreux de cailles defcendre dans l’archipel
des îles de la Grèce.
.11 feroit dur, d’après cela, de penfer, avec
Catesby (5) & Belon (6); que lorfque ces oifeaux
changent de climats, ils partent fans s'arrêter
dans des lieux qui pourroient leur convenir,
en deçà de là ligne, pour aller chercher aux Antipodes,
précifément le mène degré de latitude
auquel ils étoient accoutumés de l'autre côté de
l'équateuri;
Tous les oifeaux qui émigrent véritablement ne
partent jamais qu'en troupes. Cette loi exifte
même pour ceux des rapaces qui font dans ce cas,
quoique les animaux carnivores foient généralement
folitaires & farouches.
Mais les efpèces dont nous avons déjà parlé fous
la dénomination à*erratiques (7 ) , n'émigrent pas
véritablement; elles fe contentent de s’approcher
par degrés, & ifolément, vers les lieux méridionaux,
à m^fure que l’hiver les charte &* détruit
leurs alimens. Tels on voit les proyers, les alouette
s , les pinfons des Ardennes, les ortolans &r les
litorne s , venir fe nourrir du fuperflu d'un pays
plus riche que le leur. Te l eft aufli probablement
le roflignol.
.Ces troupes d'oifeaux voyageurs font toujours
exceflivement nombreufes. A l'îie de Caorée, autrefois
fi célèbre par les fales voluptés de Tibère, &
fituée dans la mer de Naples, on prend annuellement
de douze à foixante mille cailles, & en une 1 2 3 4 5 6
(1) Les émigrations des poiflons -fe font dans le même
ordre; plus robuftè fe met à la tête, les mâles fe. placent
cnfuite , les femelles & les jeunes ferment la marche.
(2) Cicero , De naturâ Deoruti, lib. I I , cap. 49*
(3) Belon a trouvé du blé encore entier dans le jabot de
cailles qui avoient pafle d’Europe en Afrique , Hiftoire des
oifeaux, liv. V, pag^ 265.
(4) P‘etro della Vallë, Voyages, liv. I I , c. 17. —
Quincy, Mémoires fur la vie du comte de Marfigli, part. II,
pag. 146.
(5) Philojoph. Tranfiaél., n°. 486, art. 6 , pag. 161.
(6) S § |
47) Voye\ ci-dejfus, pag. 676, n°. i 3io.
année on en prit cent foixante mille (1;. Souvent*
aufli les cailles ou les hirondelles tombent en
foule furies bâtimens qui naviguent dans leLevanr,
& fe laiflent prendre à la main par les matelots ;
c'eft ce qui arrive furtout quand ces oifeaux font
furpris dans leurs courfes par un vent contraire,
& Pline l’avoit déjà remarqué- dans un paflage
q u i, tout en confacrant une erreur groflière ,
prouve que de fou temps déjà , on favoit en quel
nombre les oifeaux émigroient (2).
Le vent, comme nous l’avons fait preflentir
ci-deflus, peut donc favorifer les émigrations d^s
oifeaux ou y mettre cbftacle, & retarder leur
courfe, furtout dans les pays où ces animaux ont
un trajet confidérable à faire par-deflus les
mers (5).
Ainfi, au printemps, les cailles n'abordent a
Malte qu’avec le nord-oueft, qui leur eft contraire
pour gagner la Provence , & à leur retour
c'eft le fud-eft qui les amène dans cette île , parce
qu'avec ce vent elles ne peuvent aborder en Barbarie,
comme l*a très-bien obfervé le commandeur
Godeheu (4), & comme Ariftote paroîc l’avoir
fenti(y). /
Remarquons encore que les Grecs nommoient
èçvi6î*i, certains vents qui annonçoient chez eux le
retour des oifeaux paflagers.
Tous les oifeaux, tant ceux qui voyagent, que
ceux qui demeurent fédentaires & fixés au fol qui
les a vu naîrre , font, avons-nous déjà d it, plus
précoces, plus promptement développés que les
mammifères; aufli ont-ils plutôt acquis leur entière
perfe&ion, comme fi la nature avoit voulu abréger
la durée de leur enfance en faveur de leurs befoins
& des dangers qu'ils-ont à craindre. L’inftinCt qui
leur a été accordé avec une grande libéralité, tient
lieu, chez eux, de l’inilruétion qûe leur courte
fociété avec leurs parens ne leur permet point de
recevoir, & tous les développement d'intelii-
gence qui dépendent de l'affociation des individus,
leur deviennent moinsnécefîaires. En effet, toutes
les réunions d’oifeaux en général3 les vols de
grues, les compagnies de perdrix, les troupes
d'oies & de vanneaux, & c ., n'étant que des raf-
femblemens informes dont les individus ont peu
de relations entr'eux, ne doivent contribuer que
faiblement à développer les facultés morales de
ces animaux.
C ’eft en confëquence de cet inftinét dont nous
( i-} * Guide du voyageur en Italie, traduit, fratlç.
1791 , part. I l , pag. 61.
(2) Advolant.... non fine periculo navigantium cum appro-
pinquavere terris , quippe velis fiepe infident, & hoc fiemper
no&Uy merguntque navigia. Lib. X, cap. 23.
(3) A urâ tarnen vehi voluni propter pondus corporum. Plin. ,
l. c.
(4) Mémoires des favans étrangers, tom. I I I , p. 92.
(5) Hiß. anim, , lib. Y I I I , c, 12.
parlons, que le pouflin, à peine forti de l ’oe u f,
fait déjà gratter la terre & en recueillir le grain ;
que la jeune hirondelle eflaie fes ailes rapides &
s’exerce d’avance pour les longs voyages qu’elle
doit entreprendre plus tard; que le cygne fraîchement
éclos cherche déjà à fe baigner dans le
cryftal du ruiffeau, & à frapper l’onde de fes pieds
élargis en nageoires.
Dès la naiflance, chaque efpèce choifit fon
domaine, fuit l'impulfion de fon inftinCt. C ’eft
de-là que réfultent, chez les oifeaux, une foule
d'habitudes remarquables dont il nous refte à
traiter, & que nous devons au moins indiquer
pour compléter leur hiftoire anatomique phy-
fiologique , autant que poflible. Leurs moeurs
naturelles ne font donc point aufli libres qu’on
pourroit fe l’imaginer. Leur conduite n'eft pas, dit
l'illuftre Buffon, le produit d’une pure liberté de
volonté,, ni même un réfultat de choix ; elle eft
un effet néceflaire qui dérive de leur conformation,
de leur organifanion & de l’exercice de leurs facultés
phyfiques. Déterminés & fixés chacun à lama-
nièr^de vivre que cette néceflité leur impofe, nul
ne cherche à l'enfreindre & ne peut s'en écarter.
C'eft par cette néceflité tout aufli variée que leurs
formes, que fe font trouvés peuplés tous les dif-
tridls de la nature. L'aigle ne quitte point fes rochers,
ni le héron fes rivages; l'un fond du haut
des airs fur l'agneau qu’il enlève ou qu’il déchire,
par le feul droit que lui donne la force de fes
armes, & par l’ufage qu’il fait de fes ferres
cruelles; l'autre, le pied dans la fange, attend à
l'ofdre du befoin, le paflage de fa proie fugitive;
le pic n'abandonne jamais le tronc des arbres à
l’entour defqùels il lui eft ordonné de ramper en
fpirale; la barge doit refter dans fes marais ,
l'alouette dans fes filions, la fauvette dans fes bocages;
tous obéiffent aux lois que la nature leur a
diétées d’avance en leur donnant les moyens de les
exécuter; ces lois font des décrets éternels, immuables;
rien ne peut les enfreindre ; ce font
elles qui retiennent la gelinotte fous l’ombre
épailfe des noirs fapins, le merle foiitaire fur fon
rocher, le loriot dans les forêts dont il fait retentir
les échos, tandis que l'outarde va chercher
les friches arides, & le râle les humides prairies,
& que l’autruchej rivale de l’Arabe, établit fa
demeure dans lés brûlans déferts de l’Orient.
C ’eft en vertu de cet inftindt naturel encore
que les corbeaux & les vautours fuivent de loin
les armées, parce qu’elles fe rencontrent rarement
fans laiffer des cadavres à leur difpofition.
C'eft lui aufli qui fait que le pique-boeuf vient
chercher fa nourriture dans la peau des beftiaux.
Cette précieufe faculté femble, chez les mères,
acquérir une nouvelle énergie vers l’époque de la
naiflance des petits. L'exceflive tendrefle qu’elles
leur prodiguent alors, les foins, les peines qu'elles
fedonnent fans cefife, leur follicitude Ij vive &
fi confiante pour leur jeune famille, leur dévouement
fi généreux dans les. plus grands.dangers,
démontrent aflez que ce fehtiment, aufli fublime
que doux, e ft, en elles, l'effet d'une loi toute
naturelle, & non point le jéfultat d’ un vain mé-
canifme d’idées & de fenfations, comme l’ont prétendu
quelques métaphyficiens. C'eft une célefte
impulfion bien certainement, qui feule peut précipiter
dans un édifice en flammes, l'hirondelle
qui veut fauver fes petits j peut faire braver a la
poule les attaques du farouche milan ; peut infpi-
rèr à la timide alouette là hardiefle dé s'offrir aux
coups du chafleur cruel qu’elle veut détourner de
fa nichée.
* Mais cet inftinft n’a point toujours un but fl
noble, un fujet fi touchant. Nous avons déjà dit
comment, chez les corbeaux & le pique-boeuf,
il fert à la découverte des alimens. C ’eft par lui
aufli, que l’écorcheur & d’autres pies-grièches
favent embrocher dans les épines les petits oifeaux
& les infettes, qu’ils prennent pour les dévorer
au befoin.
Mais l’inftinâ: des oifeaux n’eft point le feul
guide de leurs actions. Ces animaux font perfectibles,
& font capables d’ une certaine éducation.
Les perroquets apprennent à parler & à imiter
une foule d’aftes différens les uns des autres ; on
leur enfeigne une foule de chofes qui exigent
non-feulement de la docilité & une certaine flexibilité
dans l'orgânifation, mais même beaucoup
de mémoire & quelques lueurs de raifonnement.
On a vu des hirondelles, des roflignols, des
grives, des ferins, des moineaux, des merles,
des fanfonnets, &c , articuler quelques mots ou
retejiir des airs.
Le chardonneret, en cage, peut être drefle à
exécuter des exercices amufans, & l’on a vu à
Paris, pendant plufieùrs années, une troupe de
ferins inftruits qui attiroient la foule par le développement
de leur intelligence.
On fait jufqu’ à quel point deviennent familiers
beaucoup de petits oifeaux chanteurs, que. les
dames de nos cités élèvent pour leurs plaifirs. De
même aufli les fauvages de l'Amérique favent
charmer leurs loifirs par la fociécé de plufieurs efpèces
de ces animaux, qu’ils gardent en domefti-
cité dans leurs Amples cabanes.
C ’eft encore ainfi que le jicana devient pour
l’homme un ferviteur fi lèle, qui garde fes troupeaux
& les empêche de fe difperfer; que les
faucons font dreffes à la chafle avec autant de fuc-
cès que les chiens; qu'à la Chine les cormorans
deviennent d’habiles pêcheurs au profit de leurs
maîtres, &rc.
Dans certains cantons de l’Afrique, on élève
le meffager ( falco fcrpentarius , Linn.) qui s'apprivoise
facilement, & purge les habitations des