
G É N É R A L I T É S .
N o u s réunifions dans un feul & même article
les deux efpèces d’éléphans actuellement connues
à l’éeat de v ie , parce qu’elles ont les plus grands
rapports d’organifation. Nous indiquerons feulement
les particularités qui les font différer, à me-
fure que l’occafion s’en préfentera.
L’éléphant eft le plus grand des mammifères
terreftres, 8c avec le chien, le caftor & le linge,
il fe diftingue entre tous les êtres animés par la
fnpériorité admirable de fon inftinCt. Le fervice
étonnant qu’ il tire de fa trompe, infiniment agile
& vigoureux tout à la fo is , organe du taél & de
l’odorat, contrafte avec fon afpeCt groffier & fes
lourdes proportions. Sa phyfionomie eft d’ailleurs
affez impofante, & voilà ce qui a contribué à lui
faire accorder un degré fupérieur d’intelligence.
Mais, après l’avoir étudié long-temps, dit M. Cuvier
, on trouve q u e , fous ce rapport, il n’approche
point du chien ni de pïufieurs autres car-
nalfiers.
Les éléphans d’aujourd’hui, revêtus d’une peau
rude 8c prefque fans poils, n’habitent que la zone
torride de l’ancien continent, depuis l’Indus juf-
qu’à la grande mer orientale & dans les grandes
îles au midi de l’Inde, d’ un côté} & depuis le
Sénégal jufqu’au cap de Bonne-Efpérance 8c à
l ’Abyffinie, de l’autre»
On ne dompte plus l’éléphant d’Afrique , mais
il paroît que les Carthaginois l’employoient aux
mêmes ufages auxquels les Indiens confacrent le
leur.
Dans l’Inde, on en prend depuis un temps immémorial
des individus pour les drefîcr & les
faire fervir de bêtes de trait & de fomme ; mais
on n’a pu encore les propager en domefticité,
quoique ce qu’on a dit de leur prétendue pudeur
bc de leur répugnance a s ’accoupler devant témoins
foit dénué de fondement.
D’un naturel généralement affez doux , les éle-
phans vivent en troupes fous la conduite des vieux
mâles.
Ils ne fe nourriffënt que de végétaux.
Iis aiment le bord des fleuves, les lieux ombragés
& les terrains humides : ils ne peuvent Apporter
le froid, & fouffrent de l’excès de la chaleur
5 car, pour éviter la trop grande ardeur du
fo le il, ils s’enfoncent autant qu’ils peuvent dans
la profondeur des vallées les plusfombres. (Buffon.)
.L’ efpèce de l’éléphant eft nombreufe, le roi
de Siam en a bien vingt mille à fon fervice, fans
compter les fauvages qui font dans les montagnes,
& dont on prend jufqu’ à cinquante à la fois dans une
feule chaffe. Il elt de remarque auffi, qu’aétuelle-
ment les éléphans font plus nombreux & moins
fauvages en Afrique qu’ en Afie.
En général, les éléphans d’Afie l’emportent
par la taille, par la force , par le .courage 8c l’intelligence
fur ceux de l’Afrique. Les voyageurs
ont furtout célébré pour ces qualités ceux de l’île
de Ceilan. On en voit qui ont jufqu’à quatorze
pieds de hauteur, & vinge-cinq pieds de longueur
lorfqu’ils tiennent la trompe étendue en avant.
Auffi cet animal paroi:-il furchargé de fon
propre poids} fes jambes reffemblent à quatre piliers
mal dreffés, qui foutiennent fon corps informe,
dont le dos eft voû té , la croupe ravalée,
& les flancs renflés. Le cou eft à peine apparents
la tête eft terminée en arrière par deux convexités,
placées l’une à côté de l’ autre entre de très-larges
oreilles. Les yeux font exceffivement petits, & réparés
par un large efpace relevé en boffe. Le mu-
feau eft très-différent de celui de tout autre quadrupède
; on n’y voit que l ’origine d’une très-
longue trompé, qui pend entre deux énormes
défenfes : on n’ape.çoit la bouche qu’en regardant
derrière la trompe., qui tient heu de lèvre
fupérieure j celle de deffous fe termine en pointe.
La queue de l’éléphant eft courre & très-mince.
Les pieds font petits, ronds & difformes} on n’y
diftingue que des ongles.
Dans un éléphant des Indes de treize pieds &
demi de hauteur , les proportions métriques principales
font les fuivantes, d’après Daubenton.
La longueur du corps entier , meluré en ligne
M " 6
12 Q
7 3
12 10
4 8
2 6
Hauteur du traii de devant........... i j
------de derrière ^ • *2
Diftance du bout de la mâchoire inférieure
à l’occiput.. ........... .. 7
Circonférence du mufeau, au-deffous
des yeux............... .................
Contour de l ’ouverture de la bouche.
............................. . . • • ...........
Longueur des oreilles en arrière..
Circonférence du cou. . . .»......... 17
----- du corps derrière les jambes
de devant.................... 24
pieds m
0
H f *5 10
que la femelle.
----- à l’ endroit le plus gros............. 25
------du poignet......................... J
Le mâle eft fouvent moins grand que |
L’éléphant d’Afrique,plus indomptable que celui
d’Afie, eft en même temps moins gros 8c moins
maffif} fon front uni, déprimé, convexe, eft
plus incliné & aplati en arrière. Celui de l’éléphant
d’ Afie eft creufé en courbe rentrante & concave}
les fommets de fon crâne font très-exhauffés
& pyramidaux} fes oreilles font bien moins éten16
dues.
La couleur des éléphans eft ordinairement grife}
quelquefois elle prend une nuance rouflè, mais
elle pafle rarement au blanc} & Ton faiç que )es
Indiens accordent des honneurs divins a ceux
d ’entre ces animaux qui portent çeçte dernière
teinte. Cette blancheur n’eft que le réfultac d’une
dégénération particulière & purement individuelle,
laquelle ne peut être pranfmife aux defcendans
par la voie de la génération. C eft une
forte de dégradation du tiffu de la peau, femblable
à celle qu’on obferve chez les Albinos, dans l’efpèce
humaine. Tous les éléphans blancs, en effet,
ont les yeux rouges & la vue foible (1)} ils
ont auffi moins de force & d’intelligence que les
autres.
Souvent la fueur des éléphans répand une odeur
de mufe affez forte , & les Indiens la ratifient
pour s’en fervir en parfum.
On'trouve fous terre, dans prefque toutes les
parties des deux continens, les os d’une efpèce
d’éléphant voifine de celle des Indes. Un individu
récemment tiré des glaces fur k* * côtes de la Si- ;
bérie, paroît avoir été couvert d’un poil épais &
de deux fortes, ce qui fait préfumer que cette efpèce
pouvoit vivre dans des climats plus froids.
Elle a depuis long-temps difparu du globe (2).
F O N C T I O N P R E M I È R E .
L o c o m o t i o n .
S e c t i o n p r e m i è r e .
Squelettologie.
I .Les os en général. La plupart des oftéologies
d’éléphanc qu’on avoit pubîiées jufqu’à ces derniers
temps étoient fort incomplètes, & n’étoient
accompagnées ni de ces figures exaéles, ni de
cesmefures rigoureufes, ni de ces détails abon-
dans que des recherches auffi importantes exigent.
On doit donc beaucoup à M. Cuvier, qui
vient de remplir en grande partie cette lacune , &
qui a publié une excellente repréfentation du fque-
lette de l’éléphant des Indes. En effet, celle de
Allen Moulin (3) , copiée dans l’Eléphantographie
d'Hartenfels 8c dans 1’ Ampkitkeatrum^ootomicum de
Valentin,- eft des plus mauvaifes. Celle de Patrice
Blair (4) eft encore pire j on y a placé les omoplates
a rebours : & celle de Perrault, affez
bonne ( f ) , appartient à l’efpèce d’Afrique, de
même que celle donnée par Daubenton. La figure
de Camper a été faite d’après un individu trop
jeune, & ayant confervé fes épiphyfes : le fque-
lette d’ailleurs étoit pourvu de fes ligamens.
3. Les os de là tête en général. A la première vue
delà tête du fquelette d’ un éléphant, on cherche
’.(1) Voyez Georg. Ckrißoph. Petri ab Hartenfels Ele-
phantographia curiofa, feu Elephanti Defcriptio i in-/j°., Er-
fort, 1915.
(2) Cuvier, Recherchesfuries Offemens fofßles, tom. II.
(3) Anatomical Account of the eleph. accidentally burnt in
Dublin. Lond,, 168a, in-8°.
(l\) TranfaClions philofophiques, tom. XXVII, n°. 3i6 >
j.uin 1710.
(5) Mimoires pour fervir a 1’ Hiß. nat. des Anim., 3e. par-
Üe , pl. 23. 1734.
d’abord en vain fes rapports avec le type primitif
que préfente la forme humaine, ou avec celle
des animaux quf offrent avec cette dernière une
reffemblance plus ou moins éloignée} la difpofî-
tion du front, du n ez, des orbites , des os inci-
fifs, des os maxillaires 8c de ceux cjui forment la
partie fupérieure du crâne, femble établie d’après
un plan particulier. Un front large, aplati & terminé
latéralement & en haut par des courbes
dont la concavité eft tournée en dehors} au
milieu de la face, une grande ouverture oblongpe
qui occupe prefque toute fa largeur 8c qui limite
fur les côtés , 8e prefque dans la même ligne , les
parois antérieures des orbites, la forme cylindrique
de chacun des os incififs & le grand efpace
qu’ils occupent à la partie inférieure de la fa c e ,
comme pour cacher le corps de la mâchoire inférieure
8c l ’ouverture de la bouche } l’excavation
profonde que préfente la partie poftérieure 8c fupérieure
de la tête au lieu du vertex des autres
animaux, qui eft, ou convexe dans les frugivores,
ou terminé en arête dans les carnivores, tout
porte un caraélère de fingularité qui femble appeler
l’ attention de l’anatomifte, & exiger de lui un
examen particulier (1). La tête eft donc la partie
! du fquelette de l’éléphant la plus remarquable par
fa conformation extraordinaire } la plupart de fes
Os ont même des formes fi étranges, que leur
comparaifon n’a pu être faite par pïufieurs auteurs.
La tête étant placée dans fa pofition naturelle,
de manière à faire correfpondre les dents molaires
fupérieures 8c inférieures , 8c à difpofer la
bafe de l’os maxillaire inféiieur fur un plan parfaitement
horizontal, on voit fur-le-champ que la
région fupérieure & poftérieure préfente une
grande excavation formée par l’écartement de
deux éminences oblongues , 8c que le grand trou
occipital eft à la partie la plus élevée de cette
même région.
Les dimenfions de la tête d’un éléphant, donnée
à M. Pinel par Poiffonnier , 8c dont la g e pré-
fumé devoit être de quatorze ou quinze ans, font
lesfuivantes: '
Les parties les plus élevées de la tête font éloignées,
de chaque c ô té , de deux pieds, du piap
fur lequel porte l’os maxillaire inférieur.
On compte un pied neuf pouces quatre lignes
depuis l’une des mêmes parties les plus élevées
jufqu’ au bord inférieur de l’ ôs incifif du même
cô té , & un pied neuf pouces depuis le milieu de
la courbure fupérieure du front jufqu’ au bas des
os incififs, en paffant par le milieu de la tête.
Depuis le milieu de la même courbure jufqu’ i
la faillie anguleufe 8c antérieure de l’os maxillaire
inférieur, on trouve deux pieds fix lignes.
(1) Voyez Pinel , nouvelles Obfervanons fur la ftruâun?
• des os de la tête-de l’éléphant, dans les Mémoires de la So~ 1 ciété médicale d’Émulation de Paris, tome I I I , gagé 203.