
puiife être le terrain qui lui convienne, aucun
oifeau ne paroîc vivre à la fois dans les deux hé-
mifphères ( i ) . C ’eft une vérité que Buffon a déjà
démontrée d’ une manière évidente, & fur laquelle
Mauduyt a donné d’importans détails (2).
( __ Et cependant la demeure des oi féaux n’eft point
circonfcrite dans d’étroites limites , comme celle
des mammifères que leur poids attache à la terre.
À l’aide de leurs ailes j ils peuvent franchir les ef-
paces & même traverser les mers. Audi la terre
& fes climats ont moins d’ influencé fur eux que
fur les quadrupèdes , parce qu’ils font expofés
prefque conftamment à une même température,
paflant 1 Hiver dans les .pays chauds & l’été dans
les pays froids, & établiifant ainfi une forte de
communica;ion entre toutes les contrée-s.
Un inflinét admirable fait connoître à l’oifeau le
temps favorable pour fes émigrations. Il prévoit
de loin l’arrivée des frimats, qui doivent le priver
de fa nourriture, ou le retour du printemps, qui
doit la lui ramener. On diroit qu’ il apprend à fond
lar fcience des météores , en vivant fans ceffe au
milieu des airs.
E t en effet, comme nous l’avons annoncé déjà,
il connoît tous les changemens qui s'opèrent dans
ratmofphère dont il obferve habituellement les
différentes couches, & à toutes les variations de
laquelle il eft continuellement expôfé.
. A l’approche des.tempêtes, la mouette, pofée
fur les rochers, fait retentir les rivages de fes clameurs
importunes ; les pétrels, les puffins, les
albatroffes, les goélands , voltigent d’une manière
incertaine au dtflus des brifans} les oi féaux d’eau
fe promènent avec anxiété fur la grève.} les grues
quittent leurs marais:, s’élèvent au-delîus des nuage
» & furmontent la région des tourmentes; les
hirondelles! r?afeht la. fùrfaee de l’onde } les corneilles
folitaires au milieu des champs appellent à
grands cris la pluie.,: que fetnblent implorer en
même temps les coaffemens des grenouilles plongées
dans la vâfe. d’un bourbier.. Alors le marin
doit fe tenir fur fes gardes} les bergers & les laboureurs
doivent chercher un abri contre l’orage.
• Au retour du beau temps, au contraire, les
palmipèdes fe jouent à la furface des flots, l’é-
pervier circule dans l’azur des cieux , les grues re-
defcendent dans le marécage.
Puis donc que les oifêaux font doués , fous ce
rapport, d’une prévoyance fupérieure à celle des
autres animaux, prévoyance qui les faifoitobier-
ver avec tant de foin par les anciens augures , afin
d?en tirer des préfages, il n’ eft point étpnnant
qu’ il régné un ff grand ordre dans leurs émigrations,
annuelles, émigrations fort bien décrites
(i)U en éft abfolument’ de même des mammifères &
même des végétaux. .
«. (2) DifcourS fur la nature des oifeaux*
par Pline ( 1 ) , & encore mieux par Klein (zj»
C ’eft ordinairement dans les derniers jours de
l ’automne, qu’après s’être appelés mutuellement
par des avertiffemens répétés, les oifeaux
fe raflcmblent en cohortes nombreufes, dont les
longues bandes ne tardent point à circuler dans
l’atmofphère. Dès l’équinoxe de cette faifon, l’hirondelle
s’appelle fur les toits 8c raffemble déjà
fes petits, la famille.
Dans un fage confe.il par les chefs aflèmblé.
Du départ général le grand jour .eft réglé j
Il arrive. Tout part : le plus jeune peut-être
Demande , en regardant les lieux qui l’ont vu naître,
Quand, viendra ce printemps par qui rant d’exilés
Dans les champs paternels le verront rappelés.
K A CI NE fils.
Une fois l’heure & le jour arrêtés , rien ne les
retient plus} une couvée qui vient d’éclore 8c
qui réclame tous leurs foins & toute leur ten-
dreffe, ne fauroit mettre obftacle à leur départ :
on a vu des hirondelles, ordinairement fi bonnes
pour leurs petits, les abandonner, quoiqu'ils fuf-
fenr^à peine fortis deTeeut, parce qu’ ayant fait
leur ponte un peu tard, elles furent furprifes par
les approches de l’hiver (3). Et cependant, malheur
à rimpuiflante jeundîe qui refte dans le pays
natal t Elle traîne languifiamment une exiftence
miférable dans les horreurs de la difette, cherchant
avec une infruétueufe ardeur un aliment
rare& infuffifant- au fein desneiges & des frimats.
C ’tft le befoin de nourriture, avons-nous dit,,
plus encore que le froid (4), qui détermine, à
des faifons marquées, ces flux, à ces reflux d’oi-
feaux, ces émigrations annuelles , ainfi que leurs
retours.
Au reûe, c’eft toujours fans boullble que les
oifeaux voyageurs dirigent leur route dans le domaine
de racmofphère, quand ils ^abandonnent
une campagne ftérile & defolée par l'hiver, pour
defeendre, avec le zéphir, fur une terré hofpi-
talière, qui leur offre une nourriture toute préparée
, des afyles fûrs, des bois, des bocages frais,
des montagnes. Conduits par le feul inftinâ, ils
fuivent fans détour leur chemin aérien , même an
milieu des nuits (y).
Mais bientôt, foit que les oifeaux aient épuifé
les.alimens des .çpntrées qu'ils vifitent en hiver,,
foit que la trop grande chaleur de.l'été les en
chafié, ou que le befoin de fe reproduire les at-
(1) ; Lib. X, cap. 38.
(2) De avibus erraticis & migratoriis, à la fuite de fou
Ordo avium.
J(3) Mem. acad. U pfal., i
(4) Les cailles voyageufes, par exemple,, peuvent forr
bien réfîfter. au 'frbid, puilqu'il s’en trouve en Irlande, dit
Horrebow ( Hifl. gém des yoy., tom. V, pag. ao3), &c
qu’-on en a conferve plufieurs années de fuite, au rapport de
Bufion, dans une chambre fans feu & expofée au nord.
(5) Les cailles voyagent plutôt de nuit que de jpur.. —<
Bêioh, Nature des oifeaux, pag. 265.
tire dans des lieux plus favorables, ainfi que cela
a lieu en particulier pour les efpèces d'Amérique
( i) , foit enfin, qu’ils foient tourmentés par
une forte de noftalgie, ils reviennent pondre régulièrement
aux mêmes lieux qu’ils ont habités
dans les faifons précédentes. Si donc le froid & la
faim les font fuir, l’amour les ramène.
C ’eft un phénomène curieux dans ce genre, que
de voir les grues revenir, chaque année, à un
certain jour marqué, avec une exactitude ferupu-
leufe (2 ) , fait déjà noté par Théocri te , quand il
dit :
et ytçuroi raço'lçM (3 ) ,
8c qui juftifie d’ailleurs ces paroles du prophète :
Hirundo & grus eufiodierunt tempus adventûs fui......
De la même manière les cailles, les bifets, les
rolliers, les loriots, les roflignols, & c . , nous annoncent,
à chaque époque fix e, le retour des
plaifirs de l’été. Aimables meflàgers du printemps
& des fleurs, ils choififfent pour revenir, ainfi
que l’hirondelle (4 ) , 8c comme au jour de leur
départ, le temps de l’équinoxe} c ’eft le moment
où régnent les grands vents , & les légers enfans
de l’air femblent chercher à en profiter pour fe
tranfporter d.tns de nouvelles contrées. '
Le defir de changer de climat, qui communément
fe renouvelle deux fois par an, c'eft-à-dire,
en automne & au printemps, eft un befoin fi
preffanc pour les animaux dont nous parlons,
qu’ il fe manifefte même dans les oifeaux captifs
par les inquiétudes les plus vives} on voit fouvent
ces individus malheureux fe donner la mort par
les efforts qu’ils font afin de fe mettre en liberté
2 ces deux époques de l’année.
Nous l'avons dit, les oifeaux reviennent chaque
printemps au même lieu. Linnatus nous apprend
que, durant huit années conlécutivcs , un
étourneau eft venu pondre dans le même tronc
d’aune, quoiqu’il émigrât chaque hiver ( f) , &
Spallanzani (6) ayant attaché un fil rouge aux
pattes de plufieurs hirondelles qui pondoient à
fes fenêtres, les revit avec cette marque pendant
plufieurs années de fuite.
De même, la cigogne retrouve fon ancienne
tour, le rolfignol fon bofquet folitaire, le traquet
fou buiffon, & le rouge-gorge le tronc moufïeux
du vieux chêne qu'il a adopté.
Ainfi donc, fi le trifte hiver repouffe les oifeaux
des régions polaires dans les climats plus tempérés,
& ceux des zones tempérées dans les pays
chauds, on vo it, au contraire, à l’annonce de
l’é té , ceux-ci renvoyer leurs habitans ailés aux
(1) Catesby, Carol., com. I , pag. 36. I
(2) F. 'Recti, Efperiençe intorno a diverfe cofe naturali.
Firenze , 1671, pag. 86.
(?) La grue fuie la charrue.
. (4) Tum blandi foies , jgnotaqueprodit hirundo.
Ovid.
f 5) Amoenitates academie* , com. IV, pag. 564 & 565.
(6) yoy ages, tom. VIclimats
tempérés, qui, à leur tour, fe débarraflent
des leurs en faveur des contrées froides du Globe.
En hiver, les oifeaux font donc refoulés vers la
zone torride (1) 3 ils fe répandent vers les pôles
en été (2).
D’ un autre c ô té , & pour la même raifon, fi les
hôtes de l’été abandonnent nos bois en automne,
c’eft alors qu’arrivent chez nous les enfans de
l’hiver. C ’elt alors, en effet, que les plaines de
l’air font parcourues par de longues bandes de
bécaflfes, de vanneaux, de pluviers, de farcelles,
d’oies & de canards fauvagesT Alors, on voit ces
triftes voyageurs s’abattre au milieu des brouillards,
dans les plaines inondées, fe cacher dans
les joncs des marais, ou fe répandre dans les clairières
des bois humides, exhalant, parinftans*
des clameurs rauques & défagréables.
D’après cela, il devient évident que ce font
furtout les palmipèdes, les échalfiers & les paffe-
reaux granivores & furtout infeétivores, qui fe
livrent à des paffages annuels. En hiver, les palmipèdes
& les échalfiers nous arrivent du fond du
Nord, & lorfqu’au printemps, ils retournent dan»
leur humide & froide patrie, d’où les giaces les
avoient chaffés, les palfereaux , quittant les contrées
méridionales où ils s’étoient réfugiés ,
viennent les remplacer.
Rien jufqu’à préfent ne démontre que quelques
oifeaux, comme cela arrive à certains mammifères,
paffent l’hivér plongés dans une torpeur ■
léthargique. Prefque tous les ornithologiftes du
Nord cependant (3), penfënt que diverfes’ efpèces,
& furtout les hirondelles (4 ) , n’émigrent point,
& que celles-ci font cachées fous les eaux pendant
la faifon des frimats. Mais tous les auteurs qui
ont cité des exemples en faveur de cette alfertion,
n’ont point examiné par eux-mêmes les faits, qui
font d’ailleurs contredits par les obfervations
d’Adanfon, qui a vu & tenu, à la côte du Sénégal,
des hirondelles qui y étoient arrivées le
9 octobre, c’eft-à-dire, huit ou neuf jours après
leur départ d’Europe (y).
Quand une troupe d’oifeaux voyage, elle prend
ordinairement la figure d’un triangle ifocèle, qui
eft^ très-favorable lorfqu’il s’agit de fendre un
fluide, comme l’air, en éprouvant le moins de
réfiftance polfible. La caufe de cette difpofition
eft bien facile à apprécier, les individus plus forts
■ in-8°. , pag. 207.—Belon , l. c. — Linnajus, Amcen.
academ., tom. IV, pag. 585. — Catesby, Carol. , com. I.
(2) Pallas , Voyages , tom. III. r— Linnams , Iter lap-
pohic. — Klein, Prodr. hifi. avium, pag. 191.
(3) Olaiis Magnus, Cent, feptent. , lib. XIX, cap. ____
Klein, PYodrom. avium, pag. 194. — Linnams, Fauna fue~
cica , 244- — Ocho Fabricius , Fauna grotnland. , part. II.
- J. Alb. Fabric. , Hybern. anim. , pag. i 5. — Samuel
Oedmann , Nov. aU. Upfal., com. V, 1792 , pag. 83.
J 4) Voye^\e P. Hardouin, fur Pline, lib. X, cap. 24,
(5) y oyage au Sénégal.
R r r r 1