
Q U A T O R Z I È M E F A M I L L E .
L e s C é t a c é s .
A n im a u x m am m ifè r e s a n a g e o ir e s s a n s o n g le s p r iv é s d e p ie d s d e derr ière e t m u n is <£év en ts .
G É N É R A L I T É S . .
L es cétacés ont une forme fi éloignée des
autres mammifères, que, pendant long-temps, on
les a regardés comme des poifidns , & qu’enfuite
on a cru devoir en faire une daff- à part ; cependant
ils ont les. caractères généraux des autres
mammifères : ils rejpirent par des poumons y ils font
des petits vivons qu’ils nourri(fent du lait de leurs
mamelles ; maislabfence des membres abdominaux
chez eux j leur peau liffe, fans écailles, ni
poils; la forme conique de-leur corps terminé par
une nageoire aplatie horizontalement, le manque
total des oreilles externes» leurs narines, ouvertes
fur le fommet de la tête & garniès de poches
mufcuîeufes deftinées à pouffer avec violence en
dehors l ’eau qui a pénétré dans la gorge, & c . ,
en font des animaux bien remarquable? & bien
dignes de l’attention du naturalise & du phyfio-
logifte.
Tous les cétacés vivent dans les eaux de la mer,
& ne peuvent point en fortir ; mais comme ils refpirent
par des poumons, ils font obligés de revenir
fouvent à la furface pour y prendre de l'air.
La forme de leur queue les oblige à la fléchir
de haut en bas par leur mouvement progrefiïf, &
les aide beaucoup pour s’elever dans l’eau.
Nous ne faurions trop admirer la nature qui a
trouvé le moyen de faire mouvoir un coloffe cent
fois plus louîd que l’éléphant; qui a fu faire marcher
une maffe de trois mille quintaux; qui a habillé
de mufcles les agens néceffaires.pour fa locomotion
5 qui lui a imprimé une viteffe affez
grande pour atteindre fa proie ou pour feTo.uf-
traire à la pourfuite de fes ennemis.
L’ anatomie des cétacés eft encore fort peu
avancée. Les nuancesqui lesdifiinguentfontreftées
long-temps ignorées, & ce que nous en connoif-
fons aujourd’ hui fe.borne même à des notions imparfaites
: & cependaht ces animaux préfentent le
maximum de volume auquel des êtres organifés &
fenfibles pc uvent atteindre ; leur maffe doit aider
à lés faire connoître, au moins à ce qu’ il femble.
Mais comment trouver las occafiôns d’en diffé-
quer convenablement même un individu ? La pêche
des baleines n’a pu tourner, fous ce rapport,
au profit de la fcience. La boucherie dégoûtante .
de ces énormes animaux, dit éloquemment Camper,
ne îaiffe au naturalise tranfporté fur les lit-ur,
que les regrets de .voir échouer une entreprife
aufli fatigante que perilleufe. En quatre heures
de temps, la plus greffe baleine eft dépecée &
entièrement dépouillée, à coups de hache & avec
d’immenfes. coutelas. Audi John Hunter, dans
l’efpérance d'enrichir fon mu fé e , ayant envoyé
à grands frais un jeune chirurgien à la pêche des
baleinés, n’obtint de ce voyage qu’une petite
portion de peau couverte d’ infeétes (1).
Plufïeurs favans cependant ont enrichi nos con-
noiffances dans cette branche de l’anatomie, comparée.
Le célèbre P. Camper, au fli zélé que profond
anatomïfte, a fu mettre à profit le féjour
d'Amfterdam, fes relations dans les villes de Hollande
particulièrement en poffeffron de la pêche
des baleines, üc les fecours de fes élèves établis
fur les côtes ou répandus chez l ’étranger. Il a raf*
femblé un corps d’obfervations complet fur une
claffe d'animaux dont quelques efpèces ifolées
feulement avoient été examinées par Daniel
Mayer (2), Tyfon (3), Klein(4), Hunter (y), &c.
S#n travail eft remarquable; il rapproche fon auteur
de l’héritier du pinceau & de la gloire de
Buffon (<>), & l’illuftre Cuvier l’a trouvé digne
d’ être commenté par lui (7).
Nous avons vu précédemment que les dugongs
& les lamantins fe rapprochoient, beaucoup des
cétacés. Cependant les organes de la manducation,
leurs nageoires flexibles & plongées, leurs
doigts fouvent onguiculés, & les poils qui recouvrent
leur peau, rappellent encore en eux l’idée
d’un mammifère terreftre : ils ne reffemblent aux
poiffons que par l’extrémité poflérieure du corps.
Mais dans les cétacés ,1a reffemblancé eft plus
' (1) Pkilofoph. TranfaHions, vol. LXXVII,,ann> 1787.
(à) Mifcellan. curiof. ■ med.-phyf Acad. Nat. ’ Curiof
Dec.T , ann. 3 , 1.673.
(3) Anatomy of a porpes. London , 1680. (4) Hifloria Pifcium natural is , I.
(5) P hi lof. Tran fact. , vol. LXXVII.
(6) . Hift. Nat. des Cétacés, par le comte de Lacépèdc.
Paris, an XII.
(7) Obfervations anatomiques fur la ftruSlure intérieure &
le fquelette de plufïeurs efpèces de cétacés, par P. Camper,
avec des notespar M. G. Cuyier. Paris, 1820, iii -/j°.
grande, l’ analogie bien plus intime. Les organes
de la manducation ne font plus ceux des autres
mammifères; les bras accourcis ne font plus mobiles
qu’ à l ’articulation des épaules; les doigts,
dépourvus d’ong'es, font enfermés dans un four- • reai» commun ; -la peau , liffe & on&ueufe, eft
dégarnie de poils. Hors des eaux, le mouvement
'progrefiïf eft-impofftble chez ces animaux,
t L’uniformité de type d’organifatiori manque
dans cette famille d’animaux comme dans celle
des pachydermes ; & la nature paroît avoir Iaiffe
fub.fifter, dans les efpèces coloffales, dirM. Cuvier,
des ruptures de rapport qu’on n’ obferve
point dans les animaux d’un moindre volume. Il
eft évident que les divers genres des mammifères
pélagiens fe diftinguent par des caractères tran-
chans & par des anomalies frappantes dans la
forme de la tête & la ftrudturé des organes de la
manducation. Il n’en eft pas de même de l’appareil
locomoteur ; le, mode de progreffion dans un
même fluide ne comporte pas en effet une grande
variété dans la forme des organes du îtiouvement.
P R E M I E R G E N R E .
• Baleine, BaUna, Linnæus.
Bouche fans dents, garnie de fanons ; dos fans
nageoire ,• ventre liffe*
E S P È C E P R E M I È R E .
L a BALEI N E F R A N C H E , BaUna mÿfiicetus,
Linnæus.v
La baleine franche, Lacépède, Hift. Nat.
des Cétacés, I , fig. 1.
BaUna mÿfiicetus. B. naribus flexuofis in medio
anteriore capite. Linn. Syft. Nat., edit. Gmel.,
gen. 18, fp. 1.
BaUna mÿfiicetus. B .• naribus flexuofis in medio
capite, dorfo impinni. Érxleben, Syft. Regn. anim.,
gen, 48, fpec. 1.
‘ G É N É R A L I T É S .
Ées baleines méritent fans contredit le premier
rang dans la claffe des cétacés. Leurs foffes
nafales, terminées par une double ouverture,
font affez analogues, dans leur ftrudturé, au nez
des quadrupèdes. Leurs vertèbres cervicales,
d’ailleurs, font flexibles, & réparées les unes
des autres; les diverfes régions du rachis font
affez diftindtes.
La baleine franche eft le plus grand des animaux
connus, puifque, à certaines époquês &
dans certaines mers, on en a vu des individus de
la longueur de près.de trois cents pieds. La maffe
& la viteffe concourent à fa force; l’Océan lui a
été donné pour empire, & c’eft à fa furface qu’elle
développe fon énorme volume. C ’eft elle que fon
lard, épais fouvent de plufïeurs pieds, fait poür-
fuivre chaque année par des flottes entières. Sa
tête, obtufè en avant, eft prefqu’ auflï haute que
longue ; elle n’a point de nageoire fur le dos.
Anciennement on prenoit des baleines franches
dans nos mers; petit à petit, elles fe font retirées
jufque dans le fond du Nord,où le nombre en diminue
chaque jour. Dans tous les climats, dans
toutes les zones, dans toutes les parties de
l’Océan, auSpitzberg, en Iflande, au Canada,
vers la Caroline, à Guatimala, au Japon, à la
pointe de l’île de Ceylan, à Madagafcar, fur les
côtes d eC orfe, de Gafcogne, deNorwège, & c . ,
ces immenfes mammifères fe font montrés. Mais
l’art de la navigation a détruit leur fécurité, diminué
leur domaine, altéré leur deftinée.
Des coquillages s’attachent fur leur peau & s’y
multiplient comme fur un rocher; il y en a même
de la famille des balanes qui pénètrent dans fou
épaiffeur. L’homme n’eft donc pas leur Cul ennemi.
Les excrémens des baleines font d’un beau
rouge, & teignent affez bien la toile.
Le plus généralement, les baleines de cette
efpèce ont de foixante à cent trente pieds de longueur;
leur circonférence n’ eft pas toujours en
rapport avec cette longueur. La plus grande circonférence,
en effet, dans un individu de quarante-
huit pieds, furpaffoit la moitié de la longueur ; elle
n’égaloit point cette même longueur totale dans
d’autres individus longs de plus de quatre- vingt -
dix pieds , & dont le poids furpaffoit trois cent
mille livres.
Il eft à remarquer encore que les femelles font
plus groffes que les mâles affez ordinairement.
Les uns & les autres, au refte, peuvent être comparés,
dans leur en femble, à une efpèce de cylir.*
dVe immenfe & irrégulier, dont le diamètre eft
égal, ou à peu près, au tiers de la longueur. .
La tête conftitue la partie antérieure de ce cylindre,
& fon volume' égale le quart 8c quelquefois
le tiers du volume total de l’animal ; elle eft
très-convexe en deffus, & offre , au milieu & un
peu en arrière de l’efpèce de voûte qu’elle repréfente,
une boffe fur laquelle font placés les orifices
des deux évents j qui fervent à rejeter l’ eau
qui pénètre dans la gueule, ou à conduire dans les
poumons l’air nécclfaire à la refpiration.