La Chaîne des traditions1, qui remonte même au neuvième
siècle, contient une infinité de détails sur cette pêche et sur le
commerce dont elle était l’objet. Peyrard2, dont la relation parut
en 1611, en parle également; il ajoute que cette pêche créait
dans la mer de Chine une agitation extraordinaire, et qu’il vit une
fois soixante navires chargés de cauris.
L histoire de la Cypræa moneta contient de nombreux témoignages
de son importance dans les transactions. Barth fut contraint
d emprunter 30 000 piastres cauris pour continuer ses voyages.
Richard Lander et son frère en parlent comme d’un article indispensable
dans les territoires du haut Niger et du Soudan.
Aujourdhui, quoique détrôné en partie par nos monnaies, le
cauris est encore indispensable dans bien des endroits. Il n’est
pas le seul coquillage-monnaie de l’Afrique, car Livingstone nous
dit que, dans les États gouvernés par le roi Shiuté, il y a des coquilles
de forme conique dont deux valent un esclave ou une
défense d’éléphant.
Le cauris est loin d’avoir cette valeur, et l’on peut prévoir que,
dans un temps donné, il n’en aura plus aucune.
t La piastre- cauris valait, au dix-septième siècle, 18 francs ; au
dix-huitième siècle, 12 fr. S0 ; au commencement du dix-neuvième,
1 fr. 60 seulement, tellement était grande l’importation du coquillage
par le commerce européen. Aujourd’hui, elle vaut, au
Dahomey, un franc tout au plus.
La piastre cauris se divise en gallines et toques. La toque se
compose^ de 40 coquillages. Cinq toques font une qalline ou
200 cauris; 10 gallines forment la piastre ou 2000 cauris, qui
pèsent en moyenne 4k,300. Vingt cauris équivalent donc à 1 sou
de notre monnaie.
A Porto-Novo, la piastre n ’est que de 1 900 coquillages.
On se fait aisément une idée de l’embarras que donne une pareille
monnaie. Il faut 43 kilogrammes pour faire 10 francs, et la
somme de 1 000 francs demande cent porteurs.
L unité monétaire usitée au-dessus de la piastre est le sac ou
10 piastres; on renferme cette dernière somme dans des sacs en
paille de forme ronde, qui servent dans les grosses transactions.
Telle est la monnaie du pays. Elle est utilisée, à chaque instant,
t . Relations des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et la
Chine, P an s, 184s.
i . Voyages de François Peyrard, de Laval, Paris, 1679.
autrement que comme valeur monétaire : par exemple, pour l’ornementation
des cartouchières dahomiennes, pour le costume des
féticheuses et pour la garniture d’une foule d’objets en cuir.
Il existe une variété de cauris plus petits de moitié et plus
blancs, qu’on appelle cauris de Manille. Ils sont très estimés des
indigènes, quoique ayant la même valeur, parce qu’ils sont plus
légers à porter et servent à faire des bijoux.
Il n’est pas inutile, peut-être, de dire que le cauris sert, au Bengale,
à faire du stuc ; on le pile dans un mortier après l’avoir calciné,
en y mélangeant du lait caillé et du sucre. Cette pâte, lorsqu’elle
est étendue sur les murs et polie, imite parfaitement le
marbre.
Le cauris devient de plus en plus rare là où la civilisation augmente
; il aura, dans quelques années, complètement disparu des
régions habitées par l’Européen, faisant place à nos monnaies,
plus simples et plus appropriées aux transactions.