Le chenal du Toché, celui d’Aguégué-Quendji1, le village de
Kétonou, toute la partie de la presqu’île située entre ce village et
Àppa étaient au pouvoir des Anglais. Peu à peu, ils prirent possession
du Zumé, autre chenal conduisant à Kotonou, et plantèrent
leur pavillon dans les villages d’Àvansori, Ganvi, Afotonou. Porto-
Novo était bloqué ; les Anglais parlaient déjà d’y mettre des droits ;
il y eut quelques vives altercations entre tirailleurs sénégalais et
aoussas anglais; quelques coups de fusils furent même échangés
et les choses en restèrent au même point, malgré des centaines
de lettres diplomatiques échangées entre les résidents de Porto-
Novo et les gouverneurs de la colonie de Lagos.
Dès 1879, le gouverneur de Lagos avait fait occuper le Toché;
au rétablissement du protectorat, notre gouvernement protesta
contre cette occupation ; le cabinet de Saint-James déclara que la
mesure prise par le gouverneur de Lagos n’était que provisoire et
motivée par les actes de cruauté que le roi Toffa exerçait sur les
gens de Kétonou, ceux-ci ayant demandé protection contre lui au
gouvernement anglais ; mais cette occupation ne devait, ajoutait-
on, avoir aucun caractère préjudiciable aux intérêts de la nation;
elle devait être tout à fait en dehors du mouvement commercial.
En 1880, une note communiquée à notre ministère des affaires
étrangères par lord Salisbury rendit définitive cette occupation; le
gouvernement de la République eut le grand tort de ne pas y
répondre et les Anglais considérèrent notre silence comme un
acquiescement. C’est alors que graduellement ils prirent possession
de la presqu’île, des villages et des chenaux dont nous avons
parlé.
En janvier 1889, un districtcommissioner de Radagry, M. Milson,
tuait ou blessait à coups de revolver plusieurs pêcheurs inoffensifs,
sous prétexte que, montés sur leurs petites pirogues, ils empêchaient
le passage d’une chaloupe à vapeur et qu’ils insultaient
ceux qui leur demandaient de s’écarter. M. de Beeckmari, résident
de France à Porto-Novo, réclama 1000 livres sterling d’indemnité,
et cette somme fut immédiatement payée par le gouvernement de
Lagos qui savait que son représentant était dans son tort.
L’ordre ne fut rétabli entre les Anglais et nous que par la
convention signée entre les deux gouvernements en janvier 1890.
1. Ces chenaux étaient le seul chemin à suivre pour se rendre à Kotonou.
Le Zumé était une partie seulement de l’un d’eux.
Par cette nouvelle délimitation, nous perdions nos droits sur la
rive droite de la rivière Addo, nous renoncions à toute tentative
du côté d’Àbéokouta, et les limites du royaume de Porto-Novo se
trouvaient reportées à l’est jusqu’au méridien passant par la crique
d’Adjara.
Les Anglais, de leur côté, évacuaient le Toché et tout le territoire
de Porto-Novo, nous rendaient la presqu’île située en face
de la ville et s’engageaient, de plus, à ne pas agir politiquement du
côté du Dahomey, nous laissant ainsi toute liberté d’intervention.
Mais avant cette solution du côté des Anglais, le royaume de
Porto-Novo devait avoir fort affaire avec le Dahomey.
Au commencement de l’année 1889, il fut question àPorto-Novo
d’établir des droits d’importation à Kotonou. Comme le roi de
Dahomey avait jusque-là perçu ces droits, il était naturel, si le
gouvernement lui enlevait ce revenu, de chercher à l’indemniser
d’une autre façon, e tl’on proposa de lui faire une rente. Ces projets
n’étaient nullement officiels et les négociants seuls en étaient
informés.
Pourtant la chose vint aux oreilles du roi de Dahomey. Il demanda
aussitôt des explications à M. Bontemps, agent consulaire
de France à Whydah, et représentant de la maison C. Fabre, de
Marseille, lequel ne put répondre d’une façon satisfaisante.
Le roi demanda à voir le résident de France à Porto-Novo,
menaçant de faire fermer les factoreries et d’arrêter le commerce
s’il n’était pas là dans trois jours.
Le 25 mars, le baron de Beeckman, résident de France à Porto-
Novo, recevait de M. Bontemps une lettre lui apprenant ce qui
venait de se passer. Le résident n ’était nullement forcé de donner
satisfaction au roi, mais M. de Beeckman était l’obligeance et
l’affabilité mêmes, et il ne voulut pas qu’on pût dire qu'il avait été
cause d’un arrêt dans les affaires. Sans perdre un instant, il se
rendit à Whydah, où le roi lui fit dire, par un messager officiel,
« qu’il s’opposait à ce que la France mît des droits à Kotonou et
qu’il refusait absolument d’accepter quoi que ce fût en échange ».
Sur la remarque toute naturelle du résident que Kotonou appartenait
à la France par un traité, le roi répondit qu’il ne reconnaissait
pas ce traité et que celui qui l’avait signé en son nom
serait puni.
Quelque temps après, en effet, le bruit courut que le cabeçaire
en question avait été décapité. On sut plus tard qu’il n’en était