CHAPITRE VII
ÉTAT SOCIAL.
Les classes diverses. — Les chefs, les féticheurs, le peuple et les esclaves. —
La famille, le mariage, la polygamie, les enfants. — Décès et enterrements ;
leur cérémonial. — La propriété, ses limites. — L’esclave, son histoire et
sa vie.
Au point de vue physique, nous n’avons remarqué que deux
classes bien distinctes d’individus : ceux qui commandent et ceux
qui obéissent. En ce qui concerne les rapports sociaux et la situation
respective des noirs, il y en a une troisième qui tient le milieu
entre les deux : les féticheurs, et, enfin, une quatrième et dernière
: les esclaves.
Au Dahomey, en tout premier lieu, il y a le roi ; à lui seul, il
personnifie tout; il est, à la fois, le pouvoir, le peuple, la nation.
Tout s’efface devant lui, grands et petits, chefs et sujets, riches et
pauvres ; en sa présence, il n ’y a plus aucune distinction de classes :
tous esclaves, moins même, des objets lui appartenant et dont il
dispose à sa fantaisie. Il n ’est pas possible qu’un être humain résume
plus de puissance sur ses semblables que le souverain daho-
mien, plus d’influence morale sur ce qui l’entoure.
A l’époque où nous sommes, avec ce vent d’indépendance qui
'souffle de partout, toujours croissant, on se fait difficilement une
idée de cette monarchie absolue poussée à l’exagération ; il semble
impossible, même à ceux qui le voient, que des hommes ayant le
don de l’intelligence et de la volonté se laissent subjuguer par
une idée, un principe ou une habitude, au point de voir complètement
anéantir leurs autres facultés, et devenir des choses animées,
sans initiative et sans raisonnement, en tout ce qui concerne
la soumission au gouvernement.
Le roi et le service du roi : il n’existe pas autre chose ; telle est
l’idée qui a passé de père en fils depuis dès siècles, sans que perÉTAT
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sonne ose élever une objection, même mentalement ! On parle de
nos monarchies, de leur tyrannie et de leur oppression! Mais nos
régimes les plus sévères ne sont que de l’anarchie auprès du gouvernement
qüi existait hier encore au Dahomey.
Au Dahomey, tout appartient au roi : le sol sur lequel le noir
habite, sa case, sa femme, ses enfants, sa récolte. Le produit de
son travail est partagé entre lui et le monarque ; il est forcé de le
remettre aux représentants du pouvoir sous peine d’être puni avec
une sévérité excessive.
Autrefois, au moment où la traite florissâit, des fautes bien
moins graves l’exposaient à être vendu aux négriers et emmené loin
des siens. Quoiqu’il y ait moins de danger pour lui aujourd’hui de
subir ce triste sort, il n’en a pas moins une situation peu enviable :
aucun privilège, aucune liberté, aucune faveur même' ne lui est
accordée ; il faut qu’il travaille pour sa nourriture et pour donner
à manger au roi. C’est l’expression consacrée quand on réclame
des impôts*.
Tout ce qui, chez le Dahomien, pourrait manifester d’un sentiment
quelconque est refoulé par une loi tyrannique ; fait-il une
tentative, même au moral, pour sortir de son avilissement, il se
butte aux règlements, qui semblent vouloir lui rappeler sans cesse
qu’il n’est qu’un vil esclave, une simple chose, et rien de plus.
Cette loi le poursuit jusque dans les moindres détails de sa vie :
il lui est défendu d’avoir des portes en planches à sa maison, de
blanchir ses murailles, d’arranger ses cheveux à sa guise, de porter
aucune couleur, aucun ornement ou bijou en métal, de s’asseoir
sur un siège, de porter une coiffure, bonnet, chapeau, etc.; de se
chausser, d’avoir des meubles indigènes, de monter en hamac,
pendant sa vie2 ; d’être gai lorsque le roi est mécontent, et morne
quand le souverain est gai.
Le jour où il quitte cette vie de misère, la loi le poursuit encore;
elle règle le cérémonial de ses funérailles et limite les
regrets qu’on doit témoigner ostensiblement à sa mémoire.
Sauf quelques légères faveurs ou privilèges extérieurs destinés
uniquement à leur conserver un certain prestige, les chefs sont
aussi soumis, aussi courbés sous le joug que le dernier des sujets.
Vis-à-vis du peuple, ils semblent être réglementés d’une façon
1. II est question ici de ce qui se passait avant la défaite de Béhanzin. On
ne saurait dire jusqu’à quel point la situation s’est modifiée depuis.
2. Lorsqu’il est mort, on a le droit de le tran sp o rte r ainsi.