Les Européens ont donné à ces fêtes annuelles le nom de
coutumes; les Dahomiens les appellent, dans leur langue, funérailles
du Roi.
Les coutumes sont, en même temps, une sorte d’inspeetion de
fin d’année. On peut résumer ainsi le but des coutumes, en plus
des funérailles :
1° Inspecter l’administration du royaume et recevoir tous les
rapports des représentants du pouvoir;
2° Nommer ou démettre des chefs ;
3° Réunir le peuple ou, du moins, la majorité du peuple et des
chefs, leur faire quelques dons, les mettre au courant de toutes
les noùvelles lois s’il y a lieu ; |
4° Entendre, s’il y en a, les plaintes de tous les sujets, depuis le
prince du sang jusqu’au dernier des esclaves,;
5° Faire l’envoi aux tributaires des ordres du roi ;
6° Juger les causes importantes ;
7° Parler de la prochaine guerre ;
8° Enfin, enseigner à tous l’histoire du Dahomey et leur apprendre
les noms dés fondateurs de la dynastie.
Les funérailles elles-mêmes se divisent en cinq cérémonies :
les cérémonies préparatoires, la fête de l’estrade, la parâde, les
exercices de guerre, le cortège des richesses.
Dès que les préparatifs sont achevés à la capitale, tout le monde
est convoqué de nouveau, comme pour la guerre. Cette fois, les
femmes sont libres de rester chez elles ou de s’y rendre, mais
tous les hommes y vont généralement; aucun chef n’est exempt.
Chaque habitant du royaume, quel que soit son rang, apporte au
roi un présent en eauris, proportionné à ses moyens. C’est plutôt
une taxe qu’un cadeau.
Les Européens ont été, comme on l’a vu, obligés, jusqu’en
1878, d’assister à ces fêtes. Tous les chefs de comptoirs dévaient
venir eux-mêmes ou se faire représenter en cas de maladie. Il va
sans dire qu’ils devaient apporter des présents ; c’est surtout à
cet usage que le roi tenait le plus.
Les Brésiliens avaient également à joindre leur part aux revenus
de la couronne. Ces sommes étaient toujours insuffisantes à
payer les frais des coutumes, elles ne servaient qu’à aider aux
dépenses.
Transportons-nous maintenant à la capitale et assistons aux
cérémonies annuelles. -
Cérémonies préparatoires. — La ville regorge de monde et
une grande partie de la population, ne pouvant y loger, demeure
dans les villages voisins.
Le jour où est proclamé le commencement des coutumes, le roi
se rend en grande pompe, accompagné des Cabéçaires et du
peuple aux tombeaux des monarques dahomiens. Ces monuments
sont des constructions carrées, blanchies à la chaux, au nombre de
trois, de dimensions diverses et à l'intérieur desquelles ont été
enterrés un ou plusieurs des prédécesseurs du roi avec de nombreux
esclaves, des femmes et des richesses.
Chaque année, le sol de ces tombeaux, est inondé de sang
humain1, tribut barbare et immérité que la tradition paye à la
mémoire de ceux qui y reposent. On entonne des chants traditionnels
qui parlent des rois défunts et de leurs exploits, on tire, des
coups de fusil et l’on pousse des clameurs discordantes.
Cette visite aux tombeaux se répète plusieurs fois, ainsi que les
cérémonies qui l’accompagnent. Le roi entre seul et parle aux
mânes de ses ancêtres ; il doit sans doute leur annoncer les fêtes
sanglantes qui se préparent en leur honneur.
Lorsque cette première formalité des coutumes est terminée, le
roi donne les cadeaux aux chefs. Il les assemble tous dans une des
cours de son palais (ils sont au nombre de cent cinquante environ),
depuis l’héritier présomptif jusqu’au dernier des cabéçaires. Il
leur fait à chacun un cadeau, consistant en un pagne, un peu de
tafia et quelques cauris. Le peuple n’assiste pas à cette réception
des chefs.
Il s’écoule, entre chaque partie des coutumes, un espace d’un ou
plusieurs jours, quelquefois une semaine, selon la fantaisie ou la
disposition du roi.
Néanmoins, le temps n’est pas perdu. Le peuple s’assemble sur
les places publiques, tous les jours et tant que durent les coutumes,
pour écouter des crieurs, que le roi envoie proclamer les gloires
de la dynastie. Le crieur est généralement un petit cabéçaire du
palais, qui est momentanément chargé des fonctions de professeur
d’histoire. Il monte sur un tronc d’arbre, ou tout objet qui
lui permette de voir la foule, et bat le gongon pour rétablir le
calme et appeler l ’attention. Après quelques louanges à l’adresse
1. On dit dans le pays que les murs en sont pétris avec de l’argile et de
la poudre d’or mouillées seulement de sang humain.