Règne d’Adonozan, de 1774 à 1808.
Adonozan se mit à reconstituer son armée.
On remarquera qu’au Dahomey, depuis qu’il existe, les rois ont
passé leur vie à former des armées, à les semer sur les champs
de bataille et à les reconstituer encore. C’est le résumé de l’histoire
de ce peuple guerrier qui ne connut jamais ce que nous appelons
les joies du foyer ; tout était pour la guerre et en vue de la
guerre. Les armistices servaient à se préparer à une nouvelle lutte,
et les guerriers dahomiens, alors qu’ils revenaient sanglants et
harassés d’une de leurs victoires, rêvaient déjà de nouveaux
combats.
Adonozan se mit donc à reformer ses effectifs. Il voulait s’affranchir
du tribut imposé par les Eyos. Il envahit leur territoire par
surprise et commença à se venger d’une façon terrible des dégâts
qu’ils avaient faits dans le Dahomey, quelques années auparavant.
Les Eyos n’étaient pas prêts; ils furent battus à chaque engagement.
Les Fons exercèrent des atrocités sur le territoire qu’ils
envahissaient et les Eyos eurent à regretter plus d’une fois d’avoir
jadis profité de la mollesse d’Agonglou pour envahir son royaume.
Ils demandèrent à traiter.
Adonozan demanda d’abord la suppression du tribut, puis le
remboursement des vingt-sept années qui avaient été payées.
Mais voyant que les Evos ne pouvaient remplir des conditions
aussi exorbitantes, il se contenta de la suppression du tribut. La
paix fut conclue en 1777.
Le changement que ce traité opéra dans l’état moral des Fons,
qui souffraient outre mesure de leur état humiliant de tributaires,
fut le seul bien qu’Adonozan ait fait à son pays. Ce fut le prince
le plus cruel, le plus despotique, le plus sanguinaire qui ait jamais
régné chez les Fons. Les victimes de son injustice ne se comptent
pas et le sang qu’il fit verser inutilement marque son règne d’une
tache indélébile; son nom seul faisait trembler ses sujets et jamais
têtes ne furent moins solides sur des épaules que celles des Dahomiens
sous son règne.
Pourtant, jamais pays ne fut plus aveuglément soumis à son
souverain que le Dahomey. Le régime monarchique dans ce qu’il
a de plus autocrate, de plus autoritaire, de plus despotique ou
plutôt tyrannique, y a toujours été, jusqu’à présent, la seule forme
de gouvernement. Selon le caractère des souverains, il s’est plus
ou moins fait sentir, mais jamais, le peuple n’en souffrit autant
que sous le successeur d’Agonglou.
Le résultat de sa façon de gouverner fit que peu à peu il se forma
autour de lui une vaste conspiration dans le but de le détrôner;
l’esclave, outré par l’injustice, finit par haïr celui qui le frappait;
la révolte fomenta lentement.
Sous Adonozan, l’idée de porter la main sur la personne du
roi, idée qui eût paru sacrilège en d’autrés temps, finit par sembler
toute naturelle ; le peuple se familiarisa avec ce projet de
vengeance, et il arriva à considérer qu’il s’agissait de détruire
une bête fauve, plutôt que de commettre un crime de lèse-
majesté.
Il faut connaître la soumission, l’abnégation, le respect que
les Fons ont toujours eus pour leurs rois, pour bien comprendre
l’énormité d’une pareille conspiration et juger du degré d’exaspération
dans lequel était la nation au moment où se passe notre
histoire.
Un jour, enfin, la mesure fut comblée à la suite de nouvelles
cruautés et l’orage éclata. Le peuple, ivre de vengeance, envahit
le palais, après en avoir brisé les portes, et arriva jusqu’à l’enceinte
occupée par le roi. Là, au moment de porter la main sur
l’héritier légitime de la dynastie, la populace s’arrête, retenue par
un reste de respect ; elle n’ose toucher le roi, mais elle demande
son abdication (1808).
Il nous faut remonter maintenant un peu en arrière pour l’intelligence
des faits.
Le roi avait quatre frères; le cadet, Guêzou, se distinguait des
autres par son intelligence et son énergie ; Adonozan l’avait pris
en haine et le maltraitait comme le dernier de ses sujets ; personne,
d’ailleurs, autour de lui n’eut à se féliciter d’échapper à sa méchanceté;
tous étaient persécutés et chacun avait à souffrir plus ou
moins de sa tyrannie.
A cette époque, Guêzou, dédaigné, chassé par son frère, cultivait
la terre pour se nourrir; il vivait loin de la capitale dans une
retraite tranquille et ne cherchait qu’à se faire oublier, le roi
l’ayant fait emprisonner sans raison quelques années auparavant.
Pendant sa captivité, Guêzou avait eu comme compagnon de
chaîne un Brésilien nommé Francisco Félix da Souza qui, comme
lui, était l’objet de la haine d’Adonozan. Ce dernier, sous un pré