jettent à plat ventre ou se dissimulent afin que, sauf la fumée, l’ennemi
ne voie rien et ne sache pas à quel parti il a affaire.
D’autres fois c’est le champ de bataille, c’est la rencontre inévitable.
Les guerriers, placés sur plusieurs rangs, se précipitent en
avant au pas de course et s’arrêtent brusquement en masse compacte.
Au commandement du chef, le premier rang fait feu, s’esquive
immédiatement de droite et de gauche, va se reformer à la
queue où il recharge ses armes ; le second fait de même et ainsi
de suite. Tout à coup, l’ennemi est censé ouvrir le feu à son tour :
des guerriers tombent frappés à mort dans des poses pleines de
naturel, serrant leur arme dans les convulsions de l’agonie, d’autres
les soulèvent et les emportent, des blessés se traînent çà et
là pendant que le feu continue. Tout cela, fait par plusieurs milliers
d’hommes, au milieu des détonations et de la fumée, des cris
de guerre, des ordres des chefs, du va-et-vient des combattants,
offre réellement un magnifique coup d’oeil.
Les guerriers dahomiens sont à l’oeuvre, leur oeil brille, leur
physionomie exprime l’agitation ; .les chefs vont de l’un à l’autre,
criant leurs ordres, insultant celui-ci, exhortant celui-là dans la
fureur de l’action. Tout est pris au sérieux, chacun se croit sur le
champ de bataille devant l’ennemi. Les spectateurs mêmes ne
peuvent se contenir qu’à grand’peine, ils crient, gesticulent,
s’échauffent ; ils voudraient prendre part au combat.
Mais celui-ci touche à sa fin, le corps à corps commence ; quelques
hommes ont pris leur sabre dont ils frappent les ennemis
imaginaires; les crosses tournent en l’air, les cris redoublent ; la
victoire sourit aux Fons. On voit des guerriers s’agenouiller tout
à coup, poser leur fusil à terre, faire semblant de couper une tête
et la soulever d’une façon triomphante ; les coups de fusil diminuent,
les sabres sifflent dans l’air, abattant de tous côtés les adversaires
affaiblis. Les chefs commandent la charge finale. Tous
ces hommes courent en avant, redoublant leurs vociférations et
leurs gestes désordonnés, ils tournoient, ils reculent, sautent,
s’arrêtent enfin. C’est fini; la bataille est gagnée, les ennemis en
fuite, le sol jonché de cadavres. La fumée s’envole, découvrant
tous ces hommes haletants et couverts de sueur, immobiles dans
les postures les plus diverses, contemplant leur oeuvre imaginaire.
Le roi félicite et reçoit des acclamations de remerciement ;
l’armée se reforme et, en bon ordre, gagne un des coins du terrain
où elle s’aligne au repos.
Cette fois les amazones vont donner ; il leur faut d’autres obstacles
et de plus grandes difficultés.
Toutes les guerrières arrivent avec un ordre parfait et défilent
devant le roi avec un air fier et superbe. On a apporté, depuis la
veille, une quantité de matériaux, pièces de bois, branchages,
paille, fagots d’épines, etc., à l’aide desquels on construit à la hâte,
à une extrémité de l’esplanade, des murailles, des haies hérissées
de piquants, figurant, pour la scène qui va suivre, le coin d’une
ville ennemie fortifiée. Cette construction est souvent faite plusieurs
jours à l’avance, et elle est très bien imitée.
On voit sur la place également de gros canons de bronze plus
ou moins bien fixés sur des affûts grossiers1, dont la gueule béante
menace la place de tous côtés ; les uns appartiennent aux assiégeants,
les autres aux assiégés. A côté de chacun d’eux, trois
amazones et deux hommes font le service.
Tous les spectateurs sont haletants ; l’intérêt est encore plus
grand que dans la scène qui a précédé. On n’a vu que les élèves,
on va voir les maîtres.
Les amazones, ayant l’apparence calme, s’éloignent de la place
avec un ordre parfait, pour y revenir comme au prétendu but de
leur expédition. Sauf quelques-unes, artilleurs ou de service auprès
du roi, elles sont toutes là, c’est-à-dire plusieurs milliers.
Arrivées dans le lointain, elles font volte-face; la fiction commence.
Elles sont à peiné en vue de la ville ennemie ; elles s’accroupissent
comme dans des broussailles et restent immobiles; les
chefs se réunissent, formant à l’écart un petit groupe qui semble
discuter. Au milieu, l’un d’eux, la générale en chef, debout, gesticule,
montre souvent la ville et a l’air de discuter un plan de
campagne. Le conciliabule est terminé, paraît-il. Tous les chefs
s’éparpillent ët rejoignent leur poste; on a décidé que l’attaque
aurait lieu de ce côté, par la surprise. Les ennemis sont forts, résolus
et nombreux ; il faut arriver par la ruse et sans perdre de
temps. En avant!
Les formations nécessaires s’opèrent. Accroupi, rampant même,
I. Ces canons proviennent les uns des anciens vaisseaux négriers, d’autres
de navires naufragés. Le roi de Juda en acheta deux en 1722 à la Compagnie
hollandaise, avec munitions et accessoires, moyennant quatre-vingt-
cinq esclaves mâles. Ce sont de grosses pièces à l’âme et à la lumière
rouillées.