qui cherchaient à tromper leur surveillance. Les noirs, à ce régime,
devaient tôt ou tard être soumis et obéissants. Il est certain que
les coups n’étaient nécessaires qu’au début; mais on n’avait aucune
raison pour les maltraiter ; au contraire, un homme malade
ou estropié était une perte pour la plantation.
Les anciens esclaves avaient leurs jours de fête et de repos,
leurs gratifications, leurs cadeaux mêmes; leurs enfants étaient
instruits et élevés ; ils n’étaient pas malheureux.
Au Brésil, les enfants recevaient une petite éducation; ils
étaient baptisés, s’habillaient à l’européenne. Au fur et à mesure
que prenait naissance ce grand mouvement abolitionniste qui
vient de se terminer par leur émancipation, les descendants des
premiers esclaves abandonnèrent en partie la culture, embrassèrent
des professions diverses, furent laissés libres de voyager
et ne regardèrent plus les maîtres de leurs parents que comme
des vieux protecteurs.
Plusieurs d’entre eux, un grand nombre même, vinrent dans la
patrie de leurs parents ; on trouve ainsi partout aujourd’hui à
Whydah, à Lagos, à Porto-Novo des noirs brésiliens. Venus pour
la plupart alors qu’ils étaient jeunes , ils occupent actuellement le
même rang que les mulâtres réellement brésiliens et sont entre
le blanc et l’indigène. Leur position est, en général, fort honorable
; ils se comportent comme des gens qui ont reçu de l’éducation
et doivent en somme à l'esclavage d’être aujourd’hui des
« messieurs » notables, au lieu de vivre sous le joug indigène
comme ceux qui n’ont pas quitté le pays. Ils ont un peu voyagé,
un peu vu et fréquenté l’Européen, copié ses usages : il ne leur reste
plus du noir que la couleur. Ils vivent comme les étrangers, en
dehors des détails pénibles des lois indigènes, et sont, enfin, fort
heureux dans le pays où leurs parents ont tant souffert.
Ces noirs brésiliens forment aujourd’hui une bonne partie de la
population civilisée1. Disons, en passant, qu’ils ont des esclaves à
leur tour et qu’ils ne sont pas, pour ces derniers, partisans de
l’émancipation. Ils ont l’innocente manie de s’appeler créoles, ne
sachant pas au juste que ce mot signifie « personne née dans les
colonies, de parents européens ».
Au Dahomey, les Brésiliens ont été assez persécutés. Mais qui
l . Quelques-uns d ’entre eux, chez qui le noir a repris le dessus, se sont
fait mahométans afin d’être polygames.
ne l’est pas dans ce pays où les blancs mêmes sont le jouet des
autorités locales?
Nous venons de suivre l’esclave emmené en Amérique ; il nous
reste à parler de celui qui forme fine bonne partie de la population
dans son pays.
L’esclave indigène ne peut sé plaindre de sa situation; il est
regardé plutôt comme le fils de son maître que comme son serviteur
; il le nomme d’ailleurs son père.
Jeune, il a été traité comme les enfants de la maison avec lesquels
il a grandi; homme, il vit avec son maître, mange ou travaille
avec lui et comme lui, quand celui-ci n’est pas assez riche
pour faire faire toute sa besogne. Il partage ses joies et ses douleurs,
son bien-être ou sa misère. Son existence est eelle de tout
le monde; il n’est esclave que de nom, soit comme fils d’un ou
d’une esclave, soit parce qu’il a été acheté. Parfois, il est plus
malheureux; son maître le maltraite, le bat pour des peccadilles,
le vend même à d’autres. Gomme ses enfants sont esclaves comme
lui, le maître en dispose et les vend à qui bon lui semble, malgré
ses supplications. Mais, il faut le dire, ces cas sont exceptionnels :
on se sépare rarement d’un esclave ou de sa famille, s’ils ne commettent
aucun acte qui mérite ce traitement sévère.
Ce genre d’esclavage est peu répandu au Dahomey en dehors
des hautes classes, parce que tout le monde est pauvre. Mais à
Porto-Novo, au Yorouba, aux Popos, à la Côte d’Or1, où chacun
peut garder ce qu’il a amassé, presque toutes les familles ont
des esclaves et, plus elles en ont, plus il y a de bras pour augmenter
leur richesse. Si l’esclave a amassé quelque chose, par
son travail ou la libéralité de son maître, celui-ci en hérite à
sa mort.
Souvent, celui auquel il appartient le laisse libre de faire ce que
bon lui semble, pourvu qu’il loge chez lui, se nourrisse et lui
apporte chaque semaine une somme fixée. D’autres fois, il lui donne
un jour sur sept pour travailler pour son propre compte.
L’esclavage sera, avec le fétichisme, un des usages que la civilisation
mettra le plus de temps à faire disparaître. Il est accepté de
part et d’autre avec cette simplicité que donnent les anciennes
m Ce qui prouve que la situation de l’esclave n ’est pas pénible, c’e.st que
dans tous ces endroits qui sont sous l’influence ou sous le gouvernement de
nations européennes, aucun d’eux n ’a cherché à s’affranchir, ce qui lui serait
facile, nos lois étant connues à cet égard.