Il nous reste à parler de la dernière classe d’habitants de la
région : les esclaves. L’histoire de l’esclavage, sur la côte de Guinée,
mérite notre attention.
On a accusé à tort les Européens d’avoir fait naître cette coutume
dans ce pays ; il est prouvé, au contraire, qu’elle existait
depuis bien longtemps chez les indigènes, lorsque les blancs
firent pour la première fois leur apparition.
Il faut croire que ce sont les Malais, puis les Arabes, qui ont
dû commencer à répandre sur le pays la coutume d’avoir des
esclaves.
Nous croyons cependant que les Européens, s’ils ne créèrent
pas l’esclavage, contribuèrent beaucoup à son expansion en inaugurant
l’exportation en grand, le trafic humain à l’extérieur.
Ils demandèrent tellement d’esclaves, qu’ils furent cause des
guerres que les nations se firent dans le seul but d’avoir des prisonniers
; ils furent si exigeants, ils surent si bien spéculer sur la
cupidité naturelle du noir, que l’esclave devint un article de vente
courant abondant sur les marchés ; enfin ils changèrent l’esclavage
indigène, dont nous parlerons tout à l’heure, en un commerce
d’hommes qui rendit tristement célèbre cette partie du
golfe de Bénin:
Au début de l’établissement des blancs sur la côte, leur commerce
se borna à l’or et à l’ivoire ; après la découverte de l’Amérique,
on commença à tenter, dans cette nouvelle partie du monde,
les immenses cultures qui devaient faire sa richesse. Au Brésil,
les naturels du pays avaient en partie succombé dans les guerres
de l’invasion européenne; une multitude d’entre eux avaient été
sacrifiés à la sûreté des nouveaux arrivants, et le reste, réfugié
dans les savanes, ou impropre à la culture, laissait les colons sans
moyens de faire prospérer leurs plantations.
C’est alors que les Portugais songèrent à demander à l’Afrique
le personnel nécessaire à leurs colonies ; comme le noir ne s’expatrie
pas volontiers, ils n’eurent que la ressource d’acheter et d’emmener
de force ceux qui refusaient — et tous étaient dans ce cas—
d’y aller de bonne volonté.
La traite commença ainsi, vers la fin du quinzième siècle. Les
navigateurs découvraient de nouveaux continents dans toutes les
parties du monde, et toutes les puissances européennes créaient
des colonies où le naturel avait été décimé ou mis en fuite, et où
il fallait du personnel pour recomposer la population.
Après les Portugais, les Hollandais, les Danois, les Anglais,
puis les Français, s’établirent sur la côte dite des Esclaves et se
mirent à faire la traite avec activité. Tous les établissements qu’ils
construisirent furent dans ce but de trafic! Bondés de marchandises
et d’esclaves, armés en cas de révolte, les forts européens
dépeuplèrent la Guinée pendant trois siècles. La traite se faisait,
en plus de la région dont nous parlons, sur toutes les parties de
la côte.
Les Portugais avaient cinq établissements importants, les
Anglais neuf, les Hollandais onze, les Danois six et les Français
autant1. Ces établissements étaient composés d’un personnel discipliné,
plutôt de soldats que de commerçants.
La France ne pouvait même pas trouver le nombre d’esclaves
qui lui étaient nécessaires pour ses colonies d’Amérique. Louis XII
faisait payer une prime à titre d’encouragement aux armateurs
étrangers pour l’importation d’un esclave à Saint-Domingue.
Les nations européennes, si contraires aujourd’hui à la traite,
n’avaient pas, comme on le voit, les mêmes idées à cette époque.
Tous les anciens auteurs, suivant les idées de leur temps, parlaient
de l’esclavage comme d’une chose toute naturelle ; on regardait
un nègre comme un être inférieur ; on le connaissait d’ailleurs
à peine, et c’était une marchandise comme une autre. Les
premiers esclaves vinrent d’abord du Sénégal, de la Gambie, puis,
plus tard, de Sierra-Leone, et enfin, surtout de la partie de la
côte de Guinée à laquelle ils donnèrent leur nom.
Nous empruntons aux anciens voyageurs2 quelques détails curieux
sur la façon dont se pratiquait la traite à cette époque.
Il y avait plusieurs moyens, pour les indigènes ou pour les
Européens, de se procurer des esclaves. De tous côtés les tribus
étaient en guerre, et l’on ne songeait de part et d’autre qu’à faire
des prisonniers ; les grandes nations comme le Dahomey, le
Yorouba, faisaient d’immenses razzias chaque année et dépeu-
plaient'des régions entières à chacune de leurs expéditions.
Avant que toutes les petites tribus fussent exterminées par les
grandes et que les esclaves devinssent aussi difficiles à trouver
qu’ils l’étaient à la fin du dix-huitième siècle, il existait plusieurs
1. Un seul au Dahomey (Whydah), un à Ardres, un au Bénin, un au
Calabar, un à la Côte d’Or, sans compter deux ou trois au Sénégal.
2. Père Labat, Français, 1730 ; Erdman Isert, Danois, 1793; G. Bosman,
Hollandais, 1705 ; R. Norris, Anglais, 1790 ; L. de Lima, Portugais, 1720.