gouvernaient. C’est bien difficile à croire avec les idées d’inégalité
qui sont enracinées chez le noir. En tout cas, l’expérience, si
c en était une, semble ne pas avoir réussi, car il n’existe aujourd’hui
rien de ce genre sur la côte de Guinée.
Lorsque sa beauté ou sa jeunesse a fait d’elle la favorite de son
mari, la femme est quelquefois exempte de tous les travaux ; mais
jeunesse, beauté et faveur sont éphémères, et elle retombe tôt ou
tard dans sa triste condition.
Hommes et femmes dans leur situation respective ne sont pourtant
pas aussi malheureux qu’on pourrait le croire ; il faut tenir
compte, tout d’abord, de leur caractère insouciant. D’un autre côté,
on ne peüt souffrir des défauts d’une chose, que lorsqu’on a vu
mieux ; sans cela on ne sait établir de comparaison. Or, lé noir,
au point de vue social, n’a jamais pu apprécier un autre genre
d existence ; ses aïeux ont vécu dans la même condition, tous eeux
qui 1 entourent sont soumis àux mêmes lois et il ne peut donc
envisager sa situation comme nous qui vqyons le contraste entre
ses moeurs et les nôtres. Tous, s’ils ne sont pas heureux, vivent
du moins résignés et sans inquiétude dans le cadre étroit qui leur
est assigné par le destin.
Dans le peuple, chacun vit comme il peut et a presque toujours
de quoi manger. La mendicité réelle, celle que constitue le besoin
matériel de vivre, n’existe pas dans ces régions. Si un homme
s’avisait d’aller de porte en porte demander l’aumône, il mourrait
infailliblement de faim ; personne ne le prendrait en pitié, d’abord
ce sentiment est inconnu chez les noirs et ensuite ils ignorent
également ce que c’est que de donner sans recevoir, au moins,
une contre-valeur égale.
Quand Un homme ne peut se procurer le peu dont il se contente,
il a toujours la ressource de s’engager à quelqu’un pour
une certaine somme. Il s’hypothèque lui-même, pour ainsi dire.
Dans le cas où il y a eu avance d’argent (de 2 à 1S sacs de cau-
ris), il est engagé pour un temps donné, quelquefois un an ou
dix-huit mois ; si, au contraire, il ne demande pas d’avances, il
est simplement nourri et logé en échange de son travail et peut
s’en aller quand bon lui semble. Ces sortes de marchés sont tenus
de part et d’autre avec assez de bonne foi.
Ce qui dénote-bien la nature des sentiments qu’il y a chez le
noir, c’est que souvent un homme est ainsi hypothéqué par des
membres de sa propre famille ; ils le font passer ainsi au rang de
Serviteur, plutôt que de l’aider, sans rétribution, à ne pas mourir
de faim. Sans avoir de rapport avec l’esclavage, cette situation se
trouve assez facilement pour l’individu nécessiteux.
Quant à mendier, non par besoin, mais pour le seul plaisir de
demander quelque chose, tout le monde est mendiant dans ce
pays depuis le roi jusqu’au dernier de ses sujets, avec l’Européen,
bien entendu ; ils sont toujours à l’accabler de leurs demandes
continuelles et leur insatiabilité augmente en raison directe de ce
qü’on leur donne ; ils veulent tout ce qu’ils voient.
Quand un noir tombe malade au milieu de ses femmes et de ses
enfants, on fait appeler le féticheur ou un empirique quelconque
et l’on fait pour lui tout ce dont sont capables des gens indifférents.
S’il est chez des parents plus éloignés ou des étrangers, en
cas de maladie, on le met tout bonnement dehors. Il ne travaille
plus, par conséquent que lui doit-on ? Rien.
Il faut, avant de s’indigner de ce manque de sentiments, se
rappeler ce que nous disions en essayant de décrire le caractère
de ces gens étranges. La façon dont l’indigène a été élevé et entouré
ne lui a mis aucun autre exemple sous les yeux : son moral
est une terre ineulte où poussent surtout des mauvaises herbes.
Si l’on y réfléchit bien, la plupart des qualités dont s’honore notre
civilisation : bonté, générosité, patriotisme, etc., sont dues, en
grande partie, à l’exemple. Nous voyons, au contraire, le vice se
développer en majorité dans les basses classes où les enfants sont
livrés à eux-mêmes \
Les trois grandes fêtes de la vie du noir sont son baptême,
son mariage et... sa mort; les mêmes cérémonies accompagnent
le deuil et les réjouissances, ce qui prouve assez combien ses sentiments
diffèrent des nôtres.
Si le nègre sentait, comme nous, cette douleur morale intense
que provoque la perte d’un être cher, cet abandon forcé d’une
personne avec laquelle on a vécu et traversé la vie, s’il était seulement
affecté par un malheur de ce genre, il ne pourrait pas chanter,
danser et rire comme il le fait. Il est impossible d’admettre
que la douleur se manifeste par la gaieté chez le noir ; ce serait la
nature humaine renversée. '
I. On cite des exemples qui sont tout en faveur des sentiments des noirs,
lorsqu’ils ont été élevés p a r des blancs è t au milieu d’eux ; p a r exemple, les
noirs américains donnent chaque jo u r des preuves de sensibilité e t de
dévouement.