Huile et amandes de palme. — La façon seule dont on coupe
le régime sur l’arbre mérite d’être citée. On se demande tout
d abord comment, sans échelle ni crampons, l’indigène peut s’élever
le long de ce stipe de près de 10 mètres sans aspérité aucune.
Le nègre ne grimpe pas aux arbres en s’aidant des jambes et des
bras comme nous; il ignore ce procédé. Tous les végétaux dont
les branches sont hors de sa portée sont, pour lui, inaccessibles.
Comment va-t-il faire? Rien n’est plus simple que son invention,
fille de la nécessité. Il fallait qu’il pût, chaque année, cueillir
ses régimes; eh bien, il a trouvé la façon suivante : il tresse,
dans la plus forte fibre végétale du pays, une corde très raide,
capable de supporter deux fois son poids ; cette corde a environ
2 mètres ; elle est terminée d’un côté par une boucle et de l’autre
par un noeud ou une petite traverse en bois dur, destinés à la fermer
en anneau. Arrivé devant le palmier sur lequel il veut monter,
il passe la corde autour de son propre corps et de l’arbre et joint
les deux bouts ; dès qu’il est attaché ainsi contre la tige, il tend
le lien en se penchant en arrière tant qu’il peut et le fait remonter
jusque sous ses aisselles ; il allonge les deux bras sur la corde
qu’il saisit fortement. Dès qu’il est dans cette position, il est prêt
à faire son ascension : il met la pointe du pied contre l’arbre, se
soulève et donne une légère secousse en avant. Ce dernier mouvement
a pour but de faire glisser la corde de bas. en haut ; elle se
fixe par son poids un peu plus haut, et il pose l’autre pied sur le
tronc continuant ainsi à marcher et à faire remonter sa corde.
Les cultivateurs sont extrêmement experts à cet exercice; ils
montent tellement vite qu’on les voit littéralement courir de bas
en haut le long de l’arbre. Le grand danger serait de ne pas bien
poser le pied au milieu du tronc, et de ne pas bien équilibrer le
corps sur la jambe qui porte pendant la secousse. Dans ce cas, le
pied glisserait de côté, la corde se trouverait distendue et l’homme
ferait une chute d abord contre le tronc et ensuite à terre, le peu
de rugosité de l’écorce ne permettant pas à la corde de s’arrêter.
Arrivé au haut de 1 arbre, le cultivateur s’arc-boute dans la
même position et, avec sa hache apportée entre les dents ou à la
ceinture, il entame la tige du régime. Pour éviter qu’il tombe de
cette hauteur, ce qui 1 abîmerait, il l’attache à une cordelette et
le descend ainsi au compagnon resté en bas.
Deux hommes peuvent récolter de cette façon, en une matinée,
plus de cinquante régimes.
La fabrication de l’huile comprend plusieurs opérations. On
coupe tout d’abord les régimes en morceaux et, comme les fruits
ne se détachent pa$ facilement, on les mouille légèrement de
façon à produire un commencement de fermentation qui fait tomber
tous les grains. On trie ensuite ces grains, on en enlève le
cupule et on les entasse dans des marmites avec de l’eau ; ils doivent
bouillir pendant trois ou quatre heures. Ils sont, après la
cuisson, à l’état de pâte mélangée de noyaux.
Chez les populations voisines des cours d’eau qui possèdent des
pirogues, on prend une de ces embarcations en guise de cuve.
Dans l’intérieur, on construit des bassins carrés en terre glaise,
avec des murs épais et un trou percé à la base. On jette la bouillie
dans la cuve ou dans la pirogue et on la piétine pendant plusieurs
heures, comme on fait avec le raisin ; les noyaux sont enlevés au
fur et à mesure qu’on les rencontre, et la matière pulpeuse devient
plus épaisse au fur et à mesure que l’huile sort des fibres et
se mélange à l’eau chaude.
Lorsque l’opération est jugée terminée, on verse encore de
l’eau dans la cuve, on s’essuie les jambes et, du dehors,, on remue
le tout avec des bâtons ; on laisse ensuite reposer.
L’eau s’isole des parties huileuses et les chasse à sa surface
par leur légèreté spécifique. Il se forme trois couches bien distinctes
: au-dessus l’huile pure, au milieu l’eau et, au fond, la
pulpe fibreuse dépourvue d’huile mélangée aux péricarpes des
fruits. On enlève l’huile avec précaution au moyen de calebasses,
on fait évaporer par l’ébullition les parcelles aqueuses qui pourraient
y être restées, et l’huile de palme est prête à être livrée au
commerce. Elle est en ce moment d’une couleur qui varie, selon
les régions, du jaune de Naples à l’orange foncé. Elle se fige à une
température inférieure à 20 degrés centigrades, et devient alors
d’une teinte plus claire.
Les huiles les plus riches en couleur et en matières grasses sont
révoltées dans la région est du Dahomey ; celles qui proviennent
des pays occidentaux valent beaucoup moins sur les marchés.
L’huile de palme exhale une odeur forte que l’on peut comparer
à celle du vieux cuir ; elle a le même goût lorsqu’elle est vieille,
mais à l’état frais elle est un peu moins désagréable.
La pulpe restée au fond de la cuve,séchée au soleil, sert à faire
de petits tampons qu’on achète au marché pour allumer le feu,
car cette matière conserve, malgré tout, des principes oléagineux.