intervenir le commodore commandant la station navale de l’Atlantique
sud.
A cette menace, les cabeçaires se fâchent, insultent M. Tunbool,
le déchaussent (ce qui est un des derniers outrages faits à un
blanc) et le mettent en état d’arrestation.
Quénou n’avait pas assisté à cette scène, voulant rester à l’écart.
Lorsque ses subordonnés vinrent lui rendre compte de ce qui
s’était passé, il comprit qu’on avait fait une maladresse et il chercha
à en arrêter les conséquences ; il donna ordre de relâcher
immédiatement l’agent de MM. Swansea, lui fît faire des excuses
par tous les cabeçaires, prétexta un malentendu, une fausse interprétation,
etc... Mais il était trop tard.
M. Tunbool fit parvenir au commandant des forces navales et à
son gouvernement un rapport sur ce qui venait de se passer, et,
quelques jours après, le 9 octobre 1876, un cuirassé anglais ayant
à son bord le commodore Hutte mouillait en rade de Whydah.
Un officier supérieur vint à terre et fit appeler à la plage tous
les chefs des maisons et les négociants ; il les interrogea sur les
faits rapportés par M. Tunbool et leur demanda de certifier par
leur signature la véracité de ses assertions, ce à quoi ils consentirent.
Il fit ensuite dire aux autorités de venir prendre connaissance,
au nom du roi, de la décision du commandant ; dès qu’elles
furent en sa présence, il leur déclara que, une insulte grave ayant
été faite à un sujet de Sa Majesté Britannique, le commodore, au
nom de son gouvernement, infligeait au roi de Dahomey une
amende de 300 punchons1 d’huile de palme3.
Les autorités répondirent sur-le-champ que, le Dahomey ne
reconnaissant à personne le droit de lui infliger une amende,
elles considéraient celle-ci comme nulle et non avenue, ajoutant
dédaigneusement que le gouvernement anglais pouvait faire ce
que bon lui semblerait.
Le commodore, averti de cette réponse, annonça qu’il allait
mettre le blocus devant Whydah jusqu’au payement intégral de
l’amende. La notification en fut faite officiellement au fort portugais,
à l’agent consulaire de France et à tous les négociants. Le
blocus commença immédiatement, malgré tout ce que firent le
chacha et les maisons de commerce pour arranger l’affaire.
1. Gros fûts de 600 litres.
2. Cette amende représentait une valeur d’environ 50000 francs.
Les mois se passèrent et le commerce cessa peu à peu faute de
communications. Les Européens surtout, souffrant de cet état des
choses, envoyaient message sur message au roi, qui restait impassible
et n’avait pas l’air de s’apercevoir de ce qui se passait.
11 les fit appeler un jour à la Gore1 et leur fit transmettre une
fois pour toutes sa réponse, dont voici la traduction à peu près
littérale :
« Tout ce que font les Anglais m’est indifférent; nous vivons,
moi et mon peuple, comme par le passé ; si les Européens souffrent
de ce qui se passe, c’est à eux à vider la question. Je n’ai
pas besoin des Européens, moi; s’ils s’en vont, je me passerai
d’eux. J ’ai les tissus que l’on fait dans mon pays; j ’ai de l’eau-de-
vie de maïs; au lieu de poudre, j ’ai des arcs. Je n’ai besoin de
personne. Si les Anglais veulent prendre Whydah, je les laisserai
faire; mais ils sentiront bientôt ma force et ma puissance. Et si
l’on me parle encore de cette affaire, qui ne me regarde pas, je
vais défendre à mes sujets de rien vendre aux Européens. Moi
aussi je mettrai le blocus ; je fermerai les chemins et les Anglais
seront bien obligés de prendre les Européens sur leur navire pour
les empêcher de mourir de faim. »
En effet, si le roi faisait ce qu’il disait en dernier lieu dans sa
réponse, les Européens avaient, en plus du manque de commerce,
la perspective de mourir de faim.
L’agent de la maison Régis, M. P. Germa, qui connaissait la
fermeté du roi, savait que rien ne le ferait revenir sur sa décision.
Il ne vit dans tout cela que de tristes résultats pour le commerce
et écrivit aux chefs de sa maison, à Marseille, lesquels réclamèrent
l’intervention du gouvernement.
Notre cabinet fit entamer des pourparlers avec lord Garnevon,
ministre des affaires étrangères; mais le temps passait sans aucun
espoir de faire cesser prochainement la situation. Enfin, lasses
d’attendre, les deux maisons françaises se décidèrent à avancer,
au nom du roi, 200 punchons d’huile de palme (mai i 877).
Le blocus fut levé immédiatement. Il avait duré sept mois.
Glèlè, en apprenant la levée du blocus, dit que cette huile n’arriverait
jamais au pays des Anglais. Le hasard lui donna raison :
arrivé au cap des Palmes, le navire fut pris par un ouragan et
sombra. L’accomplissement de sa prédiction augmenta encore
1. Gore, palais de justice, mairie, préfecture, dans les villes du Dahomey.