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PREMIÈRE EXPÉDITION FRANÇAISE AU DAHOMEY
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L expédition française au Dahomey a captivé, il y a quelques, mois, en
France, toute l’attention publique ; les journaux ont reproduit en grande
partie et trè s sommairement ses principaux épisodes ; on a lu également
l’histoire des Européens faits prisonniers à Whydah.
Nous nous trouvions sur les lieux au moment des différends franco-daho-
miens e t nous en avons suivi jo u r p a r jo u r les incidents. Nous avons pensé
qu’il serait peut-être intéressant pour le lecteur de je te r un coup d’oeil sur
l ’ensemble de ces événements et nous donnons ici la relation fidèle de tout
ce qui se passa sur le théâtre de l’expédition.
On a lu, dans notre aperçu su r l’histoire du pays, que le roi de Dahomey
refusait de reconnaître les traités qu’il avait signés en 1868 et 1878, concern
an t la cession de Kotonou à la France.
En décembre 1889, M. le lieutenant gouverneur Bayol était de retour
d’Abomey sans avoir pu obtenir aucune concession au sujet du refus que ce
dernier élevait contre la prise de possession de Kotonou. 11 donna avis au
gouvernement du résultat négatif de sa mission et demanda qu’on défendît
les traités p a r la force, puisqu’il était impossible d’y parvenir p a r la p ersuasion
; en cas de consentement, il demandait des troupes afin d’organiser
tout au moins la défense des territoires de Kotonou et de Porto-Novo.
A cette époque, au point de vue politique, la France était dans une situation
exceptionnelle ; elle pouvait agir en toute liberté ; de récents traités de
délimitation interdisaient aux Anglais toute intervention à l’est de leurs
possessions de Lagos e t aux Allemands à l’ouest de leur colonie de Petit-
Popo. Les deux puissances européennes qui convoitaient- le plus le Dahomey
se retira ient ainsi complètement du débat, et nous restions libres de tra ite r
le Dahomey commebon nous semblait. A ce moment, une expédition eût
été organisée sérieusement, sans autre considération que la nécessité d ’en
finir au plus vite avec ces querelles de nègres que le gouvernement eût été
largement dédommagé de ses peines et dépenses p a r le résultat obtenu.
Qu était le Dahomey ? Une puissance ruinée p a r les guerres, des gens las
du despotisme royal, un peuple affaibli, n ’ayant plus qu’une vaine renommée,
venue des temps passés. Ce n ’étaient plus des guerriers, mais des
pillards nocturnes. La misère y régnait en maître : point de culture, peu de
commerce, les autorités mourant de faim. La seule difficulté que présenta
it l’entreprise était l’ignorance complète de l’intérieur du pays, en dehors
des villes du littoral et des bords duWhémé. Mais n ’avait-on pas des indigènes
qui le Connaissaient ? Les Egbas ne proposaient-ils pas de nous
aider ? Et le jour de la première victoire, nous eussions vu les Mabis e t
toutes ces populations tributaires et maltraitées se joindre à nous comme
un seul homme.
Mais, disait-on à la Chambre, qu’est-ce^que ce Dahomey ? On prétend que
c’est un pays pauvre, misérable ; de plus, il est malsain ; l’Européen n y vit
pas. Que rapportera sa conquête? C’est un deuxième Tonkin.
On avait exagéré aussi la force de l’ennemi, et le gouvernement croyait
qu’il fallait des armées. C’étaient de grosses dépenses sans résultat.
Si les choses avaient été réellement comme on les supposait à Paris, il
était sage de s’abstenir d’une pareille entreprise.
Le Dahomey est pauvre et misérable parce que personne ou bien peu de
gens y cultivent la terre. Le roi paralyse lé bon vouloir de ses sujets ; il leur
prend tout ce qu’ils possèdent. A quoi bon amasser a lo rs? Et personne ne
fait rien. On a vu, dans les chapitres qui précèdent, tput ce que tait le gouvernement
au Dahomey ; mais la te rre est fertile, le sol est productif comme
partout dans cette région; il ne demande qu’un peu de soins.
Le climat est meurtrier pour l’Européen, mais il l'e s t partout sur la côte,
à Lagos, à Porto-Novo, à la Côte d’Or; cela n ’empêche pas d’y voir des colonies
florissantes. D’ailleurs, l’Européen, s’il ne.ren d pas le climat meilleur,
remédie beaucoup à ses atteintes p a r le confort qu’il apporte à son existence,
le choix de l’habitation et autres précautions sanitaires du même genre.
Quant à la force du Dahomey, faut-il seulement en parler ? Il peut être à
craindre pour les noirs ; mais que peut-il contre l’Européen, avec son fusil à
pierre ? Il y avait une chose qu’il fallait à tout prix éviter, c’était de faire
avec eux la guerré d’embuscade, où ils avaient, comme supériorité marquée,
la connaissance parfaite du pays e t la faculté de toujours surprendre. C’est
précisément ce qu’on a fait tout le temps e t qui a causé nos pertes.
Voyez les Anglais dans leur campagne contre les Achantis. Pas de petite
guerre, pas d’escarmouches ; le plan de sir Wolseley était d’opérer su r
plusieurs points à la fois, d’effrayer l’ennemi en lui montrant p a rto u t des
troupes, qui n ’étaient rien p a r elles-mêmes, mais que l’ennemi pouvait supposer
en grand nombre. Être assez loin pour que l’attaque soit bien ré partie
et assez près pour se porter secours, en cas de nécessité. Mais, en
somme, il marchait carrément au centre du pays ennemi, guidé p ar des
indigènes, et en finissait d’un seul coup sans perte de temps ni d’hommes.
Les seules pertes qu’il eut furent lorsque, pendant la saison des pluies, les
troupes furent cantonnées en attendant le beau temps.
Malheureusement, la Chambre ne yota qu’une.somme insuffisante ; on ne
voulait pas d’expédition. Aussi n ’envoya-t-on que quelques hommes pour
satisfaire la demande pressante de M. Bayol, simplement pour occuper Kotonou
et défendre Porto-Novo, pensant que les événements n ’iraient pas plus
loin. Ces premières troupes arrivèrent dans le courant de janvier 1891 et
commencement février, venant du Sénégal et du Gabon.
On avait décidé de s’emparer militairement de Kotonou ; mais il était iné