le prestige du roi de Dahomey. Il n’était pas seulement grand
poète et grand guerrier, le -voilà aussi devenu grand prophète.
Dès que les Anglais eurent disparu à l’horizon, le roi se rappela
qu’il avait une foule de petits comptes à régler avec les négociants
qui, par leurs signatures, avaient certifié un document écrit
contre son gouvernement. Il les appela aussitôt à Àbomey ; les
Européens ne répondirent pas à cet appel; les négociants brésiliens
ou indigènes seuls s’y rendirent ayant peur de provoquer par
un refus la colère du souverain.
Après trois mois passés dans l’attente, Glèlè les fit comparaître
devant lui et leur parla de tout, excepté du motif pour lequel il les
avait fait venir; arrivant ensuite à ses prétendus griefs, il les condamna
tous à la prison, donnant à chacun un prétexte :
Julian-Félix da Souza, parce qu’il était allé aux Popos pendant
le blocus ; Andréa Pitou, parce qu’il avait critiqué le gouvernement;
Francisco Rodriguez da Silva, parce qu’il avait accepté à
déjeuner avec des officiers anglais à la maison Daumas et Lar-
tigues ; Dorothéo, pour indiscrétion, etc. Chacun eut un motif
plus ou moins plausible à sa détention, mais ils savaient tous que
c’était pour avoir signé le procès-verbal du commodore.
L’un d’eüx, Ignaço da Souza Magalhans, qui était resté à
Whydah, fut puni d’une forte amende, enchaîné et emmené de
force à Abomey. Sa faute était plus grave : on l’accusait d’avoir
conspiré contre le chacha et le roi. Lorsque, après deux ans de
captivité, on relâcha les autres, il fut gardé à Abomey avec le
loisir de se promener dans la ville.
Chaque année, au moment des coutumes, l’usage voulait que
les négociants et au moins un Européen par factorerie se rendissent
à Abomey pour assister au spectacle révoltant des sacrifices
humains. Ils s’en retournaient écoeurés et peu désireux de faire le
voyage une seconde fois.
En 1878, le roi de Dahomey avait ratifié avec la France le traité
de 1861 ; à la demande des Européens, une clause fut ajoutée, les
dispensant à l’avenir d’assister à ces fêtes.
En 1883, le quatrième chacha mourait et était remplacé par
Julian, dont nous avons eu deux fois déjà l’occasion de parler.
Julian-Félix da Souza était peu digne d’occuper ce posté; d’une
moralité plus que douteuse, capable de tout, il était fait pour
abaisser encore, si possible, le prestige des chachas. Néanmoins,
au début, il sut, on ne devine comment, gagner la confiance du
roi • le commerce des esclaves continuait comme par le passé et,
sans lui donner une grande fortune comme au premier chacha,
il lui procura une aisance que nous ne saurions qualifier
d’honnête.
Dans un but d’intérêt, plutôt que pour reprendre l’influence
que ses prédécesseurs avaient perdue, il se mit à s’occuper des
affaires des Européens. Comme il avait l’air de prendre leurs intérêts
à coeur, ils furent encouragés à avoir recours à lui et, graduellement,
le chacha de Whydah redevint quelqu’un, comme au
temps de Francisco F. da Souza. Il prit également un certain
ascendant sur l’esprit du roi, qui finit par lui demander conseil et
faire cas de son avis.
Il est étonnant que Glèlè qui, par sa police, .connaissait certainement
tous les agissements du chacha, ait pu lui accorder sa
confiance.
Julian da Souza obtint du roi de Dahomey ce que jamais aucun
chacha n’eût osé proposer. Sur ses conseils et après de longs
essais de persuasion, Glèlè, oubliant l’indépendance qui lui était
si chère, consentit à accepter le protectorat du Portugal.
Il va sans dire que le chacha s’était fait l’intermédiaire de cet
arrangement moyennant un fort courtage en cas de réussite. Nous
verrons plus tard que le roi était trompé et qu’il ne savait pas en
réalité ce qu’il accordait au Portugal. Le traité fut signé en 1883.
Nous devons maintenant remonter, en vue des événements qui
vont suivre, à l’origine du royaume de Porto-Novo, lequel va
prendre une grande place dans notre récit.
Porto-Novo e t son histoire.
La ville de Porto-Novo s’appelait Ardres au dix-septième siècle ;
tous les voyageurs la décrivent comme une cité riche et commerçante.
Elle était la capitale du royaume du même nom. Les rois
habitaient à Allada qui était aussi une ville fort importante. Après
la conquête du royaume d’Ardres par les Fons et son annexion au
Dahomey, Agadja avait à sa merci tous les princes de la famille
régnante. Sûr de leur soumission et voulant faire preuve de générosité,
il confia à l’ancien roi d’Ardres des fonctions équivalentes
à celles de gouverneur de son nouveau fief. Ces fonctions étaient
transmissibles à sa famille par ordre d’hérédité.
Le royaume d’Ardres s’étendait fort loin du Dahomey vers l’est ;