résultat de faire des hypocrites à moitié instruits, bien plus à éviter
que le nègre ignorant.
Mais revenons à ce dernier, et voyons comment il supplée
dans ses besoins à certaines connaissances indispensables qui lui
manquent.
La numération a pour principe, chez lui comme chez tous les
peuples primitifs d’ailleurs, les cinq doigts de la main ; de ce
dernier mot, sans doute par corruption d’un terme latin, vient
le mot mânon qui, en nago, veut dire cinq. Lorsque le chiffre
dépasse le nombre de doigts d’une main, il y ajoute ceux de
1 autre, et toute sa science s’arrête à dix,' le mot quinze s’exprime
par cinq de (sous-entendu : retranché) deux dix ,■ vingt se dit
deux d i x ’, trente, trois dix, etc. ; cinquante, dix de six dix et
ainsi de suite. Quand il a à tenir des comptes, ce qui lui arrive
quand il est fonctionnaire du gouvernement, le Dahomien a également
sa comptabilité à lui, quoique cela paraisse extraordinaire.
Tous les cabeçaires, douaniers, percepteurs chargés par le gouvernement
indigène de recevoir et de rendre des comptes, ont
une façon de procéder assez bizarre, qui, si, elle est plus volumineuse
que la nôtre, est tout au moins aussi exacte, et c’est là
l’essentiel.
Chaque fois qu’on doit compter au-dessus de dix, on prend dans
les perceptions une ficelle à laquelle on fait autant de noeuds
qu’il y a d’unités; ces ficelles ne comportent pas plus de dix
noeuds. D’autres fois, on prend un petit bâton et on y fait autant
d’incisions. Ce premier procédé représente le « brouillard » ;
c’est la comptabilité courante tenue pendant les affaires et les
agitations de la journée. Il faut, ensuite, mettre le tout au net.
Pour cela, le fonctionnaire possède des cauris1 percés qu’il enfile
par dix sur une ficelle, dont chacune représente un certain
nombre de ficelles à noeuds ; ces chapelets sont réunis, à leur
tour par dix, en un paquet. Le tout est de nouveau attaché ensemble,
toujours en même nombre et pendu dans un certain
local, de sorte que le teneur de ce nouveau genre de livre peut,
en un instant, savoir ce qu’ils représentent à une unité près.
Tout cela est relativement facile : c’est du calcul écrit. Mais là
où le noir est curieux à voir, c’est quand il fait mentalement des
opérations d’arithmétique ; dans ce cas, son intelligence supplée
i . Coquillage servant de monnaie su r la côte des Esclaves.
à son ignorance. Lorsqu’il se trouve dans des circonstances où
il n’a pas avec lui «ce qu’il faut pour... compter » par la méthode
que nous venons de citer, c’est-à-dire une ficelle ou un bâton* il
appelle à son aide deux ou trois de ses compagnons, davantage
même, si l’importance du calcul l’exige. G’ést un service que
l’on se rend mutuellement à chaque instant et qui ne se refuse
pas. Tous s’asseyent en cercle, faisant face à celui qui va indiquer
le calcul à faire. Il commence par expliquer le problème à résoudre
; il y à, par exemple, trente jours de travail, dont vingt-deux
avec quinze hommes, six avec dix-huit hommes, deux avec dix
hommes seulement. Pour ces travailleurs, il y en a à deux ou trois
taux différents de, salaires; il y a aussi des avances à déduire. Tout
cela, qui paraîtrait compliqué à un Européen, n’effraye pas le Conseil.
Celui qui parle procède par ordre. 11 s’adresse à’chacun deceux qui
l’entourent et pûse une question : un homme a tel salaire pendant
tant de jours, combien cela fait-il ? Chacun répond; si tout le
monde est d’accord, l’orateur posé le chiffre... dans la mémoire
des autres : l’un doit se rappeler les dix ou dizaines, l’autre les
dix-dix ou centamès et ainsi de suite; on continué ainsi jusqu’à la
fin, chaque homme représentant une de nos colonnes d’addition.
Ils ont tous excellente mémoire et retiennent chacun ce qui le
concerne. Quelquefois ils ramassent autour d’eux des brins de
paille, de petits cailloux qu’ils réunissent devant eux en un petit
tas comme un mémorandum. Le moment de la récapitulation
arrive, et chacun récite sa partie. L’homme aux unités dit cinq,
celui aux dizaines trois et ainsi de suite. La solution d’un problème
comme celui que nous donnons comme exemple, et il y en a de
bien plus compliqués, dure environ une demi-heure. 11 est fort
rare que les noirs Se trompent : ils obtiennent ainsi des nombres
de quatre ou cinq chiffres avec leurs fractions aussi exactement
que nous avec nos procédés mathémathiques ; il faut remarquer
que ce qui augmente encore la difficulté de ces calculs, c’est que
la monnaie du pays se subdivise en une infinité de fractions centésimales.
Lorsque le résultat du calcul n ’est pas d’accord avec celui de la
partie adverse et qu’ils ne l’ont pas augmenté à dessein, loin de
se décourager ou de consentir à accepter son chiffre, ils vont se
rasseoir tranquillement et recommencent.
La division du temps est très primitive chez eux. Les heures
s’indiquent par le soleil; on dit : le soleil était là ou là, pour indi