long voyage. C’est pour cela qu’on met dans la fosse ou qu’on
remet à celui qui va mourir une somme en cauris et une bouteille
de tafia pour les dépenses de la route. Cette coutume n’est
jamais oubliée.
11 y a une lagune à traverser dans le cours de ce voyage; semblable
au Styx, elle a un passeur qui exige deux taqy.es comme
prix du trajet.
Ce rapprochement n ’est pas le seul qu’il y ait entre la croyance
des noirs et la mythologie grecque. Ils pensent que ceux qui n’ont
pas satisfait comme ils le doivent à leur religion sont punis par
un séjour dans un lieu de souffrance, où, au lieu de les brûler continuellement
comme dans l’enfer, on leur inflige toutes les souffrances
physiques que les noirs redoutent le plus : la faim, la soif,
le froid, les coups, etc.
D’autres, plus heureux, vivent tranquilles et surtout sans rien
faire, dans des séjours délicieux, où ils ont abondance de nourriture,
de fruits, de tabac, d’eau-de-vie surtout, des femmes nombreuses,
le tout éclairé par un soleil radieux, sans souci ni souffrance.
Ce paradis de Mahomet est très difficile à atteindre, et peu
d’hommes y arrivent. Tous les grands fétiches y sont, et on peut
les y voir tous les jours.
De plus, entre les élus et les malheureux, il existe une situation
intermédiaire où vont la plupart de ceux qui n’ont pu atteindre le
but, et n’ont pourtant pas mérité de punition ici-bas.
Les noirs sont persuadés que les habitants de l’autre monde
peuvent correspondre avec celui-ci ; les prêtres de leur culte leur
font croire journellement à des exemples de ce genre.
Dans l’autre vie, chacun reste ce qu’il a été dans ce monde :
roi ou esclave, riche ou pauvre. Les grands sont enterrés souvent
avec des femmes et des esclaves afin qu’ils arrivent ensemble là-
bas, et que ces derniers puissent les servir comme par le passé*
dès leur arrivée.
Ce séjour dans l’autre vie n’est pas considéré comme éternel ;
il y a un certain moment où quelques-uns d’entre ceux qui ont été
sur cette terre y reviennent sous une autre forme. C’est à peu
près la doctrine de Platon. La métempsycose est pour eux une
chose naturelle, commune même ; ils sont persuadés que tel ou
tel individu est un revenant et qu’il portait auparavant un autre
nom. Un noir nous montra un jour un petit enfant de trois mois,
d’une autre famille que la sienne, en nous disant que c’était son
grand-père. Nous eûmes besoin de nombreuses explications pour
comprendre ce phénomène.
Toutes ces croyances, ces superstitions, jointes à sa manière
d’être et de vivre, sont la cause plutôt que le résultat du genre de
religion du nègre de Guinée. Il veut voir et voit en tout le surnaturel.
Aussi la religion à laquelle il appartient s’appelle le fétichisme.
Le mot est portugais d’origine et vient de fetiço, charme.
Le fétichisme est un culte bizarre répandu sur la côte occidentale
d’Afrique, chez tous les peuples qui l’habitent. Ses principes
et ses- dogmes varient un peu quand on change de nation.
Au Dahomey, à la Côte d’Or, aux Popos, chez les Achantis, au
Yorouba, au Djebou, les différences sont très peu sensibles. Les
idiomes changeant, les noms varient également, mais la religion
est la même.
Au Dahomey, celui qui se serait livré de notre temps à n’importe
quelle observation dans le but d’étudier profondément le fétichisme,
aurait été regardé comme suspect et se serait vu continuellement
persécuter. Nous avons raconté le traitement que nous
a valu, à Abomey-Calavy, une innocente excursion photographique.
Nous avons pu néanmoins nous assurer de la parfaite similitude
du culte avec celui des nations voisines, et, à Porto-Novo, pays
à moitié dahomien par l’origine d’ailleurs, nous avons observé de
très près tous les détails de cette étrange religion.
Le fétichisme est loin d’être une religion barbare, quand on
considère le peuple qu’il gouverne et maintient.
Avec l’immoralité, le manque de conscience, le matérialisme
du noir, nos religions simples (en comparaison dé la sienne) qui
parlent à l’âme, à la sensibilité, qui s’adressent surtout aux sentiments,
seraient sans effet. 11 lui faut la sensation physique de
tout ce qu’on lui enseigne, et, pour bien se représenter les idées
morales ou immorales, il les a personnifiées ; il a des idoles et des
objets apparents, et le féticheur lui joue la comédie pour tout ce
qui concerne les esprits, les apparitions, etc.
Les peuples barbares, depuis les temps les plus anciens, adorèrent
des idoles ; il a fallu à l’homme, dès le début, quelque
chose, quelqu’un qu’il pût reconnaître comme un être supérieur,
auquel il pût attribuer des pouvoirs qui lui manquent.
Le noir de Guinée a fait de même ; mais là où il se distingue de
ces grossiers païens, c’est quand il connaît et rend hommage au