N’ayons pas l’air-de faire attention à eux; si l’on nous touche, nous riposterons.
» Et, pren an t un accordéon qu’un moulèque avait, je ne sais pourquoi,
joint à nos bagages, nous nous mîmes à chanter en choeur une chanson de
paysan breton, qui faisait très bon effet, accompagnée p a r cet instrument.
Il est impossible de peindre l’effet que fit la musique sur cette population
agitée ; nous arrivions en ce momént à hau teu r du milieu du village, et nous
assistions aux changements successifs qui se produisaient dans l’attitude
des habitants. Ils restèrent d’abord stupéfaits de nous voir prendre la chose
aussi gaiement, puis ils réfléchirent, sans doute, que nous n ’avions pas l’air
de gens venus pour faire la guerre. Le sourire, puis de francs éclats de rire
apparurent sur leur physionomie, e t tout le monde donna, en un instant,
tous les signes de la gaieté la plus folle. Ils se mirent à danser en cadënce,
à faire des contorsions grotesques, et comme pendant ce temps nous faisions
du chemin, ils suivirent la rive, sortirent du village, continuant à
nous accompagner ainsi en dansant et en riant comme des fous ; ils ne s’a rrêtèrent,
comme à regret, que sur le bord d’un grand ruisseau, affluent du.
Whémé, d’où ils nous firent, de la main, une foule de gestes d’adieu ou
d’amitié.
Lorsque nous fûmes hors de vue,ce fut à notre tour de rire dé ce nouveau
moyen de passer devant un village contre le gré des habitants.
Dès lors, nous prîmes l’accordéon à l’approche de chaque lieu habité, et
l ’on pouvait ainsi nous entendre longtemps avant de nous voir. Nos Kroomen
et le personnel apprirent sans peine la fameuse chanson, et ce ne furent
plus trois voix, mais une quinzaine, qui accompagnèrent désormais le Pacificateur
du Whémé, comme nous appelions l’accordéon.
Nous passâmes ainsi à Gobbo, à Bodjémé, ayant, je l ’avoue, l’apparence
de gens en goguette, mais semant par ce moyen la joie sur notre passage,
et nous terminions notre deuxième journée de voyage un peu plus loin que
Bodjémé, après un parcours de 18 milles seulement ce jour-là, à cause du
manque d’eau, de la chasse au crocodile, et de tous les re ta rd s que nous
avions subis.
Nous mettons le camp su r un banc de sable, à un tournant du fleuve.
Devant nous des berges élevées, couronnées de palmiers, se prolongent de
chaque côté et disparaissent dans le lointain. Notre banc de sable est une
presqu’île qui se rattache à la rivé sous 2 ou 3 pieds d’éau.
Nous avons choisi cet endroit parce qu’on ne peut pas nous y surprendre ;
mais il offre de nombreux inconvénients.
Tout autour de nous, le sable est jonché de coquilles d ’oeufs de crocodile,
couvert de traces de leurs pattes, ce qui indique que cet îlot leur est
familier, e t des myriades de moustiques nous promettent une nuit des plus
agitées.
Nous prenons to u r à to u r la faction; je monte la première, et, après avoir
fait le to u r de l’îlot, je vois des ombres e rre r çà e t là, se donnant des claques
retentissantes. Je reconnais, en m’approchant, MM. Siciliano et Maignot,puis
tout notre personnel qui s’agite ; personne ne peut dormir. En s’approchant
de la tente, ils ont été obligés de s’enfuir. Les moustiques sont si tenaces
et nombreux, que le seul moyen de se dérober un peu à leur piqûre est de
se promener à grands pas.
Lès crocodiles ne débarquent pas, heureusement ; ils se contentent de
sillonner l’eau en tous sens autour de l’îlot; nous apercevons leurs têtes
nombreuses qui se détachent, au clair de lune, su r la surface de l’eau.
Nous voyons arriver le matin avec la plus grande impatience, nous promettant
de dormir à l’endroit où nous déjeunerons. Nous quittons, avant
l’aube, notre promontoire auquel nous laissons le nom mérité de Pointe aux
Moustiques. • "
Tout près, se trouve le village de Léwé; nous nous y arrêtons. M. Sici-
ïiano convoque les chefs et les habitants, et M. Maignot interroge les indigènes
pendant que je retourne photographier la Pointe aux Moustiques, et
que je fais mes, observations journalières.
Tout s’est rempli de sable à notre dernier campement; les fusils, les
effets, en sont complètement imprégnés. J’ai peur que mon chronomètre n ait
souffert, et je passe longtemps à le nettoyer extérieurement. Mes châssis
photographiques, mes clichés (comme je le vis plus tard), sont dans le
même état.
Lorsque nous quittons Léwé, nous voyons avec plaisir flotter le pavillon
qu’on vient d’arborer sur le village, et M. Siciliano emporte son premier
tra ité où nous avons signé comme témoins.
Le troisième jour du voyage, le fleuve change peu d'aspect; les rives augmentent
d’élévation, la végétation devient de plus en plus riche. La largeur
du fleuve se maintient toujours en tre 80 e t 100 mètres ; l’élévation des
berges de 1 à 2 mètres, le fond est toujours entre i m,10 et 70 centimètres,
excepté sur les bancs où il diminue beaucoup.
* A la Pointe aux Moustiques, nous étions à peu près à la latitude de Dambo,
marché de l’intérieur d’une grande importance dans le commerce de la
région. Nous dépassons Niakpo, deux ou trois petits hameaux, et Gamban,
un des plus grands villages du Whémé. Le chef étant absent à notre passage,
nous promettons de nous y a rrê te r au retour.
Nous allons camper à Séti, après un parcours de 17 milles depuis Lewé.
Nous sommes à la hau teu r de la frontière nord du royaume de Porto-
Novo.
Quoique le Dahomey s’étende ju sq u ’à la rive droite du fleuve, les Villages
qui s’y trouvent, vivent, comme de l’autre côté, dans une sorte d’indépendance
qui se remarque chez toutes les populations qui habitent cette région.
Le Dahomey les considère comme indépendants ; quand bon lui semble,
il fait chez eux des razzias qui les dépeuplent et les ruinent souvent à tout
jamais.
Pour se mettre à l’abri, jusqu’à un certain point, de ces tentatives, les habitants
des villages qui sont su r la rive droite construisent sur la rive opposée
un nombre égal d’habitations et de magasins. Ils habitent la rive droite
jusqu’au moment de l’expédition annùelle ; ils y cultivent, sur un excellent
te rra in , le maïs, la patate, l’igname et le manioc; dès que les eaux baissent,
ils traversent la rivière et habitent la rive gauche où ils sont, sinon en
sûreté, du moins à l’abri des surprises. Ils enlèvent, le soir, toutes les pirogues,
les tiren t à te rre , et ont ainsi beaucoup de chances de ne pas être
inquiétés. Les Dahomiens recherchent les gués, et nous avons remarqué
que partout où il y en a, to u t est désert aux alentours. Comme l’armée daho