ne fait qu’entrevoir au milieu d’un feuillage touffu, la plupart des toitures des
cases qui s’échelonnent sur son versant. C’est le commencement de la tro isième
zone; on commence à apercevoir le granit en quantité. Le mont Foà
en est entièrement formé ; il est mélangé en certains endroits à du schiste,
e t le versant opposé au fleuve offre des gisements de gneiss à fleur de terre.
L’aspect des rives, avec leurs forêts et leurs escarpements, reste le même
bien longtemps après Fanvier.
A Aboucou, nous pendons nos hamacs pour la n u it; je calcule et ajoute
à mes notes un parcours de 12 milles.
Nous devons passer vers midi, le jo u r suivant, au gué d’Ajoom, célèbre
depuis quarante ans que Porto-Novo s’est brouillé avec le Dahomey. C’est là
qu’ont passé les bandes dahomienn'es, portant chaque année, dans des contrées
fertiles, le pillage et l’incendie; c’est là aussi, qu’elles ont traversé,
à leur retour, emmenant captifs les habitants. Combien de malheureux ont
passé là ! Combien d’entre eux ont dû se dire avec raison qu’ils ne franchiraient
plus jamais le gué d’Ajoom, laissant pour toujours, de l’autre côté de
l’eau, femme, enfants ou patrie !
11 existait autrefois un village du même nom ; en 1881, il eut le même
sort qu’Azanzoumé e t que tous ceux sur lesquels le Dahomey je tte son dévolu.
Nous nous fîmes montrer son emplacement p ar des pêcheurs. Il ne
reste rien , pas un seul vestige du village disparu.
Un petit hameau, situé 2 milles plus loin, a pris le nom d’Ajoom. On ne
comprend pas que de nouveaux villages apparaissent encore dans ce voisinage
dangereux; il faut vraiment que le noir soit l’insouciance même, pour
ne pas profiter de la leçon cruelle que reçoivent quelquefois les autres.
Il en est de même partout ; le Dahomey brûle un village, emmène les
h abitants, et quelques mois après d’autres viennent s’établir p a r là, sur le
passage de leur redoutable ennemi, sans paraître prévoir qu’ils sont destinés
tô t ou ta rd à avoir le même sort.
Il y a, à Ajoom, deux gués à 800 mètres l’un de l ’autre ; ils sont à fleur
d’eau pendant la saison sèche, et l’on peut les traverser sans se mouiller les .
jambes. Le Whémé, en cet endroit, a 70 mètres de large.
Les berges continuent à être hautes; àAssiossi, nous sommes obligés d ’expliquer
notre présence dans le Whémé. On se contente de nos explications,
et nous faisons quelques petits cadeaux. Les habitants nous rejoignent à
quelque distance, pagayant avec force dans leurs petites pirogues; nous
croyons à un changement brusque dans l’attitude des habitants, mais ils ne
veulent que nous vendre du poisson et du miel. Nous faisons ces achats
bord à' bord sans nous a rrê te r.
Notre pirogue de vivres reste en a rriè re ; les canotiers de Porto-Novo
refusent tout à coup d’avancer. Nous sommes en plein Dahomey depuis hier
et ils ne se sentent pas tranquilles. Nos Kroomen eux-mêmes, si courageux et
si énergiques, ne peuvent dissimuler une crainte des plus fondées.
Nous ne pouvons nous a rrê te r pour eux ; il faut marcher. L’un des canotiers
de Porto-Novo se sauve à quelque distance d’Assiossi, et comme nous
ne voulons pas que les autres fassent de même, nous faisons passer la pirogue
devant nous et la suivons de près.
A un certain moment, près de Dogban, les canotiers refusent net d’avancer;
la pirogue s’arrête et s’en va à. la dérive. Nous posons un ultimatum :
nous ferons feu sur le premier qui fait mine de rébellion. Comme ils ne prennent
pas la menace au sérieux, M. Siciliano prend son fusil et leur fait siffler
une balle à quelques pouces au-dessus de leurs têtes. Us comprennent alors
qu’il n ’y a plus à plaisanter, e t ils reprennent leur route de mauvaise grâce.
Nous faisons une découverte très intéressante, et qui nous signale encore
notre présence dans la troisième zone. Nous nous échouons tout à coup,
très légèrement p a r bonheur, et nous nous apercevons que nous sommes
sur un véritable lit de rochers. La base des berges commence, en effet, à
offrir des traces de gisements schisteux, mais les rochers sont complètement
isolés au milieu du fleuve ; tout autour, du sable à 2 mètres de profondeur.
Seuls dans leur genre (car nous n ’en avons pas vu d’autres), ces rochers
sont assez étranges; ils mesurent une quinzaine de mètres de tour.Le plus
élevé était, à cette époque de l’année, à 60 centimètres au-dessus de la surface
de l’eau. Nous les appelons les rochers Maignot. J ’en ai emporté quelques
échantillons.
Nous arrivons à Coddé à la nuit tombante, e t nous passons un tra ité avec
le chef. Après avoir mis le village sous la protection de la France, nous nous
mettons nous-mêmes sous celle des habitants. Parcours de la journée :
13 milles. Le matin du jo u r suivant, avant le départ, je place mon appareil,
et un moulèque photographie toute notre expédition, avec la population de
Coddé derrière nous.
Quelques heures après notre départ, voyant à Allioui un joli point de vue,'
nous descendons un instant pour prendre une photographie; au retour,
nous nous apercevons que tout le monde a quitté la pirogue de vivres et
qu’on a profité de cela pour nous voler une dame-jeanne de tafia, notre
unique caisse à provisions, et plusieurs autres objets.
11 ne nous reste qu un morceau de fromage, quelques oignons et un peu de
pain sec, qui, fort heureusement, se trouvait dans la baleinière. Nous ne
pouvons perdre inutilement un temps précieux à chercher les voleurs; nous
croyons que ce sont les canotiers de Porto7Novo, car ils ont disparu; mais
ils reparaissent à notre grand étonnement; ce sont les gens du village qui
nous ont volé. Nos canotiers ne peuvent plus fuir, comme nous le compre-'
nons ensuite ; ils tomberaient entre les mains des Dahomiens. Nous sommes
au contraire leur seule protection. Nous portons plainte au chef du village
pour le vol dont nous sommes victimes ; mais, au Dahomey, il faut donner
au chef qui vous le fait rendre le double de la valeur de l’objet volé.
Cette perte de nos provisions est des plus fâcheuses ; nous ne rencontrons
que des populations méfiantes, sinon hostiles, qui ne se nourrissent que de
poisson sec et d’huile de palme. Avec la fièvre qui nous dévore plus ou
moins tous les trois, ce n ’est pas la nourriture qui nous convient.
Nous décidons néanmoins de continuer. M. Maignot e st' très malade-
M. Siciliano et moi serons dans le même état dans deux ou trois jo u rs; nous
avons tous plus ou moins une insolation.
Une fièvre lente ne me quitte plus depuis Fanvier; cette position assise
toute la journée sur un banc étroit, ces secousses continuelles imprimées
p a r les pagaies, ce soleil brûlant, font que le soir nous sommes accablés de