L’homme est placé sur le côcô et replié, comme on dit vulgairement,
en chien de fusil. Ses genoux sont sous son menton et
ses bras entourent ses jambes. Il est fortement attaché sur le
plancher en bambou. On le coiffe quelquefois du n bonnet de
paille qui indique le sort auquel il est destiné.
Le côcé portant le prisonnier est placé sur la tête d’un porteur,
qui le promène par toute la ville, et chacun peut voir de près ceux
à qui il sera bientôt donné de contempler, dans l’autre vie, les
anciens rois de Dahomey, jouissant en paix de la félicité qui leur
est réservée.
Cette exhibition dure plusieurs jours ; tous les prisonniers sont
portés, à la suite les uns des autres, par toutes les rues, jusqu’au
moment de la fête ; il est défendu de les frapper ou de les
insulter.
On bâtit, sur un des côtés d’une grande place publique réservée
à cet effet, une estrade haute de 2 mètres, bordée d’un garde-fou
et ornée d’étoffes, où prennent place le roi et sa famille. Le monarque
met à sa droite les Européens lorsqu’il y en a, à sa gauche
ses ministres, le prince héritier, sa première femme, qui, seule,
pourrait s’appeler la reine; derrière lui, ses enfants, ses autres
femmes, ses serviteurs, et tout le personnel nombreux qui compose
sa maison.
Parfois les blancs et les autorités sont placés au pied ou au premier
rang, en face de l’estrade, sur laquelle le roi et sa famille
seuls prennent place.
Le peuple est, tout autour, maintenu par des gardes et des amazones,
de façon à laisser, au pied de l’estrade, un grand espace
libre. Au milieu de cet espace, un grand bassin de cuivre martelé,
de 70 centimètres de diamètre, reluit au soleil; à côté, l’exécuteur,
délégué du mingan que ses fonctions gouvernementales et
religieuses appellent ailleurs, est assis tranquillement, ayant à
côté de lui plusieurs sabres dahomiens. Cette arme, petite mais
redoutable, est particulière au pays; large et lourde à l’extrémité,
étroite à la base, la lame est faite exprès pour trancher sans effort
le cou d’un homme. Le manche est court, mais bien en main. Les
sabres qui servent dans ces circonstances sont quelquefois ornementés
de cuivre; leur lame est ciselée et découpée à jour.
Le roi fait apporter des paniers de cauris, et, du haut de l’estrade,
jette au peuple quelques poignées de coquillages. Les acclamations
commencent à l’adresse du grand, du généreux souverain,
les amazones tirent quelques coups de fusil. La fête est commencée.
On voit apparaître à l’une des extrémités de la place une longue
file de porteurs ayant sur la tête le sinistre côcô. Les amazones
font ouvrir à ce cortège un passage dans la foule. Tout s’écarte
silencieusement avec un respect involontaire pour ceux qui passent.
Le méou se lève et harangue un instant la foule, dans le plus
grand silence ; il dit au peuple que le toi l’a appelé pour assister
aux funérailles de ses ancêtres célèbres ; qu’il va assister au départ
de ceux qui vont dans l’autre vie donner aux rois défunts des nouvelles
de leur bon peuple et du noble successeur de leur dynastie,
que Dieu protège, etc...; il termine par des louanges à l’adresse
du roi. La foule répond par des acclamations, reçoit encore quelques
poignées de cauris et tout rentre dans l’ordre, carie cortège
des porteurs arrive en ce moment devant l’estrade, où il s’arrête
et se range en ligne.
Ce sont les victimes qui vont être offertes en holocauste à la
mémoire des rois morts.
En plus des pauvres êtres humains dont nous avons parlé, le
spectateur aperçoit avec étonnement toutes sortes d’animaux sauvages
ou apprivoisés attachés chacun sur des côcôs comme les
hommes. Les mammifères, les reptiles, sont muselés afin qu’ils
ne puissent mordre.
Le grand féticheur et premier dignitaire de la religion après le
roi, le mingan, se lève alors, et devant cette multitude muette de
respect et de superstition prononce une allocution longue et énergique
au dieu des morts ; c’est la seule circonstance où l’on voit le
chef de la religion officier lui-même. C’est un vieillard généralement;
il n ’accorde cette grande faveur qu’aux mânes des rois. Sa
parole magnétise la foule.
Après une longue prière, il offre au dieu, en holocauste, quelques
victimes de la part du roi et pour le bien-être de ses pères.
On prend alors un des animaux qu’on porte sur le bord de
l’estrade afin que le souverain jette un regard sur la victime. Dès
quil l a vue, il fait un signe, et l’on pousse légèrement le côcô
qui fait la culbute et tombe au bas de l’estrade ; un féticheur lui
coupe immédiatement la tête et fait couler son sang dans une bassine
à part. On voit défiler ainsi sur l’estrade les animaux les plus
variés : des chiens, des chats, des porcs, des coqs, des hyènes,
des chacals, des singes, des crocodiles, des chats-tigres, etc.