Le Lito, c’est le nom du bras que nous remontons, ressemble plutôt à
un épanchement du fleuve dans des bas-fonds. Il a, vers l’entrée, environ
120 métrés de large, et plus de 250 au milieu ; il aboutit, au bout de 4 à
5 milles, à un cul-de-sac où commencent deux petits cours d’eau. L’un
d eux ne doit exister qu’aux hautes eaux; l’autre, le Broutli, n ’est navigable
que pour les petites pirogues. Il traverse, en se dirigeant un instant vers
le sud-ouest, des marécages peuplés de caïmans et qui sont en même temps
des forêts de palétuviers.
On disait que ce petit cours d’e au rejoignait la lagune de So, dans le lac
Denham. Il n ’y a aucune trace de cette communication, ni du côté du Lito,
ni du côté de ladite lagune, ni sur le chemin qui va d’Abomey-Calavy au
Whémé et qui passe entre les deux.
Après avoir passé la dernière nuit à Tocouli, nous reprenons la direction
de Porto-Novo ; depuis Gamban, nous avons trouvé quelques poules, mais
nous ne sommes pas en bonne santé.
Nous disons adieu au Whémé vers midi e t sommes de retour à Porto-
Novo le soir, après treize jours d ’un voyage fatigant.
On a déjà vu la description de la case ronde en paille sur pilotis ; c’est
celle qu’on remarque sur tout le parcours du Whémé.
Le costume des habitants est le même que dans les autres régions, sauf
à Affamé, où les gens vont presque nus, e t à Lewé, où les hommes portent
une petite jupe plissée dont nous avons déjà parlé. La langue qu’on parle
le long du fleuve est le fon ou dahomien1. Il y a quelques villages où les
gens appellent le fleuve Okparà, d’autres Oagbo; mais la généralité l’appelle
Whémé.
Le Whémé est riche en cultures et en produits utiles au commerce. Ces
derniers s écoulent p a r le fleuve et p a r des routes intérieures passant par
les marchés de Dévicamey, Aboséti, Dambo, Wéfin, Vacon, Adjara, Djofi,
arrivent à Porto-Novo, à Abéokouta e t à Lagos.
Les habitants vendent leurs produits à peu de distance de chez eux, e t
ils n ’arrivent aux centres de commerce que de main en main.
En plus des productions végétales, on compte la poterie, le poisson, le
bétail, qui vient du bas Whémé.
La direction générale du Whémé est nord-nord-ouest pendant la plus
grande partie de son parcours.
Il est navigable aux hautes eaux (avec une force motrice suffisante pour
vaincre un courant de 8 à 10 noeuds) jusqu’à 125 et 130 milles nord de son
embouchure. Au point où nous nous sommes arrêtés, il mesurait 50 à
60 mètres de la rg eu r; sa profondeur moyenne est de 2 à 4 mètres, sauf les
gués e t les bancs qu’il est facile de reconnaître.
Il se je tte dans la lagune de Porto-Novo p a r le chenal d’Aguégué français,
e t dans le lac Denham et le Toché p a r ceux d’Aguégué-Quendji et le Zoumé.
Il n a comme affluents que de nombreux ruisseaux.
La population riveraine peut être estimée à 30000 ou 40 000 habitants.
Le lever hydrographique que j ’ai rapporté de mon voyage a été fait à la
boussole, et vérifié p a r une triangulation sommaire établie sur vingt-deux
1. Beaucoup de gens appellent cette langue le géji.
villages principaux. Quatre points de repère en ont formé la base, établis
par une observation astronomique régulière : Afobodji, Gamban, Fanvier
et Oumkpakpa. Le calcul horaire a été basé sur l’heure donnée télégraphiquement
p ar l’observatoire de Saint-Paul-de-Loanda.
Les altitudes de niveau ont été données p ar l’anéroïde compensé et vérifiées
p ar le thermomètre à eau bouillante. L’échelle ascendante va de
3 mètres à Bodjémé jusqu’à 155 mètres à Oumkpakpa.
L’exploration du haut Whémé eut pour résultat de faire connaître, au
juste, l’hydrographie du fleuve, les limites du Dahomey e t de Porto-Novo
d’une façon régulière, ainsi que l’importance commerciale de la région.
Au point de vue politique, elle fit connaître notre pavillon national dans
l’intérieur du pays, à 90 milles au nord, et créa avec les principaux chefs
nos premières relations. De plus, elle a appris la nouvelle route qui conduit
à la capitale, car on ignorait jusqu’alors que le Whémé puisse être d’aucune
utilité à cet égard.
Nous avons remis en arrivant, à M. Bayol, les traités passés avec les chefs
de Tocouli, Léwé, Gamban, Fanvier, Coddé, Affamé. Nous avons laissé pour
consigne aux chefs -d’arborer les couleurs françaises chaque fois qu’ils apercevraient
une embarcation montée p a r des Européens.
M. le lieutenant gouverneur des Rivières du Sud m’a fait l’honneur d ’envoyer
ma carte avec les traités au ministère de la marine et des colonies.
Pendant la dernière expédition de Dahomey, cette carte a servi à la
colonne expéditionnaire pour remonter le fleuve et pénétrer au coeur du
pays ennemi : c’est p ar le Whémé que le général Dodds a déposé des
troupes le long du territoire dahomien, et qu’il a p u , après plusieurs
combats acharnés, arriver jusqu’à la capitale.
En plus de son importance politique, le Whémé reste dans l’avenir une
des seules voies fluviales permettant d ’exporter les produits de l’intérieur.
Qui sait si, un jour, la découverte d’un autre cours d’eau plus septentrional
ne permettra pas de relier ainsi le littoral aux centres commerciaux de
l’Afrique centrale?
Comme je l’ai dit, la conquête du Dahomey nous assure, pour le Soudan,
des débouchés sur l ’Atlantique.